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Travailleurs étrangers dans le secteur des soins de santé en Israël : quand l’employeur devient une seconde famille

dans Rapport mensuel

Ils viennent d’Inde, du Sri Lanka, du Népal ou des Philippines et prennent soin des personnes âgées en Israël. Ces „aides“ sont des travailleurs étrangers qui ont souvent quitté leur propre famille, mais ils ne sont pas malheureux pour autant en Israël car leur travail leur assure un revenu confortable et leur permet de réaliser des expériences nouvelles…..

Il est midi place Rabin à Tel-Aviv. A première vue, le groupe dont certains des membres sont assis sur des bancs protégés du soleil par les palmiers, semble un peu étrange : à l’avant on voit d’abord des personnes âgées, la plupart dans des fauteuils roulants, et à l’arrière plusieurs Philippins en train de rire et de discuter.   C’est pourtant une image familière en Israël. Des travailleurs étrangers en provenance d’Inde, du Sri Lanka, du Népal ou des Philippines s’occupent des personnes âgées. Officiellement, on compte dans le pays plus de 55 000 soignants. Ils vivent avec leur employeur, ont leur propre chambre dans son appartement et restent généralement avec lui jusqu’à la fin.  Souvent, des liens étroits se tissent entre soigné et soignant, ce dernier étant considéré comme un membre de la famille.

Beaucoup d’argent et de nombreuses nouvelles expériences
Quant Jg (prononcer dji) Rescopin de Manille (38 ans) est arrivée en Israël elle pesait 20 kg de plus et  fuyait son compagnon. Elle avait non seulement quitté sa fille de 12 ans mais également abandonné un travail lucratif dans la fonction publique. „Ma fille ne voulait évidemment pas que je parte, mais je lui ai dit que nous devions penser à notre avenir. Je veux qu’elle puisse étudier à Manille“. Jg voulait plutôt travailler à Londres ou au Canada, mais la première offre qu’elle reçut venait d’Israël qui n’était pas, initialement, la destination de son choix. „Je viens d’un endroit où les Juifs ne sont guère appréciés, mais quand on vit en Israël on change forcément d’avis. Les gens sont très aimables, ils traitent même les animaux avec respect et je gagne bien ma vie“.

Jg et la personne qui l’emploie, une veuve habitant dans le quartier Rehavia à Jérusalem, ont rapidement développé une relation affectueuse. Sa „lady“ comme elle appelle cette dame de 91 ans, ne l’a pas seulement aidée à perdre du poids mais lui a également permis de faire de nombreuses expériences nouvelles : elles vont ensemble au concert, au musée d’Israël et, chaque matin, elles lisent un chapitre de la Bible, toutes choses que Jg apprécie d’autant plus qu’elle ne les aurait jamais faites à Manille. Il n’en reste pas moins que Jg serait heureuse de rentrer chez elle si on lui proposait là-bas un travail correctement rémunéré.

Jg et sa "lady" à Jérusalem (photo : privée)
Jg et sa « lady » à Jérusalem (photo : privée)

Robert Lobo de Mumbaï en Inde est également venu en Israël pour permettre à sa famille d’avoir une vie meilleure. Cet homme de 45 ans a une formation de manager ventes et marketing, mais il est courant en Inde de pousser les salariés vers la sortie via des mutations improbables quand ils ont une grande ancienneté dans l’entreprise et coûtent alors trop cher. „Si on veut m’envoyer travailler dans un autre Etat, à des milliers de kilomètres de chez moi, je peux aussi bien aller en Israël, d’autant plus que je gagne pratiquement le double ici“.  La sœur de Robert et plusieurs de ses cousins travaillent également dans le secteur des soins aux personnes âgées en Israël, mais il n’a pas dit à sa fille de six ans qu’il vit sur un autre continent. Elle croit qu’il travaille dans un autre Etat indien. Robert s’occupe à Ramat Aviv d’un couple âgé, vit chez eux, cuisine pour eux et veille à ce qu’ils prennent bien leurs médicaments. Il est étonné de voir à quel point les anciens restent actifs en Israël par rapport aux personnes âgées en Inde et à quelle fréquence ils consultent le médecin.

Robert est originaire de Mumbaï en Inde (photo : Katharina Höftmann)
Robert est originaire de Mumbaï en Inde (photo : Katharina Höftmann)

Robert apprécie beaucoup la famille dont il prend soin mais certains de ses collègues ont moins de chance. La cohabitation n’est pas toujours facile et lorsqu’il s’agit de personnes atteintes de démence ou souffrant de la maladie d’Alzheimer certains soignants doivent faire face à des situations parfois très difficiles. Il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas en Israël de scandales comme ceux dénoncés par exemple en Allemagne ou en France dans certaines maisons de retraite. Peut-être cela vient-il du fait que les soignants étrangers se sont déjà occupés de leurs propres parents et savent mieux faire face aux situations difficiles, d’autant plus qu’ils viennent de pays où la coutume exige que les enfants prennent soin de leurs parents quand ceux-ci deviennent dépendants.

Les agences de recrutement encaissent des frais illégaux
De plus, l’activité est étroitement contrôlée par le gouvernement israélien. Quand un soignant ne se sent pas bien dans la famille à laquelle il a été assigné, il peut en changer. En revanche, ce qui se passe dans le pays d’origine avant que le soignant n’arrive en Israël, pose un véritable problème aux spécialistes du droit du travail. Tous les travailleurs étrangers doivent payer une sorte de taxe de plusieurs milliers de dollars à une agence – ce qui est en fait illégal – et sont donc obligés, pendant leurs premières années en Israël, de rembourser un gros crédit. Les soignants parlent ouvertement de cette situation mais aucun ne veut que son nom soit cité pour éviter tout ennui avec ces agences.

 

 

De plus, en amont de leur venue, les travailleurs étrangers investissent temps et argent dans leur future activité, apprenant entre autres à cuisiner les plats typiques en Israël. Aux Philippines, par exemple, on ne mange généralement pas de légumes crus, alors que les salades font partie du menu quotidien en Israël. Quand la ou les personnes dont ils s’occupent peuvent rester quelques heures seules, les soignants ont une journée de libre par semaine, mais ils en profitent rarement pour se reposer. Souvent, ils font alors du baby-sitting ou du jardinage. Parfois, ils remplacent un collègue pour la journée, ce qui est également interdit car le visa de travail vaut uniquement pour l’activité de soignant et pour un seul employeur.

Quand elle a une journée de libre, Jg se rend à Tel-Aviv. On la voit ici à la gare centrale des bus où les travailleurs étrangers ont l'habitude de se rencontrer (photo : Katharina Höftmann)
Quand elle a une journée de libre, Jg se rend à Tel-Aviv. On la voit ici à la gare centrale des bus où les travailleurs étrangers ont l’habitude de se rencontrer (photo : Katharina Höftmann)

Etant donné que presque tous les soigneurs sont chrétiens, leur séjour en Israël revêt souvent aussi une dimension spirituelle : „Dès mon arrivée, je suis allé à Jérusalem. Jamais je n’aurais pu imaginer que je m’y rendrais un jour“ raconte Robert Lobo. Pour Jg également, vivre à Jérusalem est une sorte de récompense : „Le fait que je puisse vivre dans cette ville est ce que mon nouveau métier m’a apporté de mieux“. A noter que depuis qu’elle vit en Israël, elle n’a plus peur du terrorisme ni de la guerre. „Les Philippines sont tout sauf un pays calme et sûr et ici je vis dans le même quartier que le président israélien, et de plus sur la terre de Jésus. Que pourrais-je demander de plus ?“

Autres informations :
A lire : „The last to remember – soignantes philippines et dévouement en Terre Promise“ par Claudia Liebelt dans l’Almanach juif ( en allemand chez Jüdischer Verlag, Suhrkamp)
http://www.suhrkamp.de/buecher/alter-_54267.html
De nombreux soignants sont très endettés (en anglais), Times of Israel, 11.02.16
http://www.timesofisrael.com/when-grandmas-caretaker-is-a-debt-slave/ 

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