Depuis plusieurs années, Tel-Aviv semble être devenu le centre névralgique de l’art israélien contemporain, mais le festival Manofim de Jérusalem et différentes institutions prouvent que la capitale de l’Etat hébreu n’a rien à envier à Tel-Aviv.
Quelques patients attendant leur tour sont assis dans le long couloir haut de plafond de l’hôpital Bikur ‘Holim installé dans un imposant bâtiment du 19ème siècle. Entre les sièges, des projections vidéo, des photographies et des sculptures qui font partie de l’exposition Nurse, Nurse. Les lieux semblent avoir été créés spécialement pour abriter de l’art. Les œuvres sont d’une telle réalité, d’une vérité si criante, qu’on pourrait facilement croire qu’il s’agit d’un décor de film et non pas d’une exposition.
Les œuvres de Snir Kazir, Ran Slapak, Reut Asimini, Gideon Gechtman et de nombreux autres artistes israéliens montrent de façon saisissante différents aspects de la naissance et de la mort, de la maladie et de la maternité. Le collectif d’artistes « Public Movement » met en scène dans la cour un sauvetage sous des décombres, dans le lieu qui pendant l’intifada a traité, car étant le seul hôpital situé dans la ville même, de très nombreuses victimes des attentats. Les traumatismes de cette époque ont laissé une trace indélébile qui à la fois transparaît dans l’oeuvre et l’isole.
Des lieux importants pour les échanges sur l’art
Bikur ‘Holim, un hôpital plutôt petit qui, en raison de son implantation, reçoit essentiellement la population ultra-orthodoxe et arabe de Jérusalem, se bat depuis des années pour sa survie. Le bâtiment qui lui fait face a déjà été fermé, le ministère de la Santé refusant de continuer à payer pour le maintenir en fonction. Dans l’actuel bâtiment principal où se tient l’exposition un service de maternité a néanmoins été ouvert il y a quelques années. Pour Lee He Shulov et Rinat Edelstein, les fondatrices du festival d’art Manofim, l’hôpital offrait le cadre idéal pour cette exposition hors norme.
Depuis ses débuts, il y a onze ans, Manofim est l’événement avec un grand E sur l’art contemporain dans la capitale israélienne. Le festival est soutenu entre autres par la Jerusalem Foundation très active à Jérusalem dans de multiples domaines (écoles, jardins d’enfants, centres de proximité et même expositions) et dont le travail est absolument indispensable. Avec les Art Cube Artists’Studios, elle a ouvert en 1982 un nouvel espace pour les échanges sur l’art, d’une nécessité vitale dans une ville comme Jérusalem. Le complexe, situé dans le quartier de Talpiot entre des ateliers automobiles, est la première institution israélienne proposant des studios subventionnés à des artistes. Manofim y a établi ses quartiers ainsi que le magazine en ligne Harama. Il propose également un programme permettant à des artistes locaux et internationaux de créer dans l’un des 15 studios pendant cinq ans maximum sans se préoccuper de problèmes financiers.
La ville est complexe
Le Suisse Georg Keller est l’un de ces artistes. Dans le cadre d’un programme établi par la Fondation Dr Georg et Josi Guggenheim, destiné à promouvoir les échanges entre artistes suisses et israéliens, Georg Keller est venu en Israël pour trois mois. Le fait que, sur ces trois mois, il en ait passé deux à Tel-Aviv et un seul à Jérusalem montre clairement que Tel-Aviv est considéré comme le centre névralgique de l’art contemporain dans l’Etat hébreu contrairement à Jérusalem.
A tort estime également Georg Keller qui est notamment fasciné par les cultures étrangères. « Les codes sont plus faciles à décrypter à Tel-Aviv qu’à Jérusalem qui, déjà de par sa topographie, est extrêmement complexe. Comme elle est bâtie sur des collines, on n’a pas vraiment de vue d’ensemble ». Pour Georg Keller, qui résidait pour la première fois en Israël avec sa femme et ses deux enfants, le programme offrait une magnifique possibilité de se frotter aux coutumes locales et de s’informer. « Se familiariser avec une autre culture permet d’analyser son propre système de références et de réfléchir sur son identité. Le grand défi est de ne pas intellectualiser instantanément les informations recueillies et je sais d’avance que je vais échouer ».
Georg Keller, qui partage sa vie entre Varsovie et Zurich, ignore encore quelle vue d’ensemble il aura d’Israël et quelle œuvre émergera de son séjour mais pour créer conformément à son slogan L’art est une recherche qui doit déboucher sur quelque chose de neuf, Jérusalem était le lieu idéal. Le fait que depuis longtemps Jérusalem soit évincée par Tel-Aviv sur le plan artistique est peut-être la raison pour laquelle les institutions dédiées à l’art ont pu se développer calmement et posément dans la capitale et donner lieu à une exposition aussi remarquable et rare que Nurse, Nurse qui jette un pont entre les particularités de la ville et ses artistes.
Autres informations :
Site Internet de Manofim (en anglais)
https://manofim.org/en/exhibitions-en/
Informations sur la résidence de Georg Keller en Israël
http://www.artiststudiosjlm.org/georg-keller.html