Entre les lignes (ELL) : Monsieur l’ambassadeur, bienvenue en Israël. Quelle relation aviez-vous avec le pays avant d’y devenir l’ambassadeur de Suisse ? Vous y étiez-vous déjà rendu ? Que représentait ce pays pour vous ?
S.E. Simon Geissbühler (SG) : J’étais déjà allé plusieurs fois en Israël, à la fois à titre privé et comme chercheur. En tant qu’historien, j’ai étudié de manière approfondie l’histoire des Juifs d’Europe de l’est et la Shoah, en particulier en Bucovine et en Bessarabie. Je suis venu plusieurs fois en Israël car j’ai effectué des recherches à Yad Vashem. J’ai même eu le grand honneur d’être invité une fois à Yad Vashem pour y faire un exposé sur le sujet.
ELL : D’où vient votre intérêt pour la Shoah et les Juifs d’Europe de l’Est ?
SG : Lorsque j’étais lycéen, je me suis plongé dans l’œuvre d’Isaac Bashevis Singer qui a beaucoup écrit en yiddish sur le shtetl, sur la ‘grande ville juive’ de Varsovie. En 2007, j’ai d’abord été en poste comme envoyé en Roumanie puis en Pologne. Ma femme est d’origine ukrainienne. Ces nombreux points de convergence ont suscité en moi le besoin de documenter l’héritage juif, également en tant qu’historien. Entre temps, j’ai écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Je dois néanmoins préciser que même si la Shoah a été ma porte d’entrée en Israël il serait faux de réduire mon intérêt pour ce pays à ce terrible événement. J’ai dirigé ces dernières années la division de la Paix et des Droits de l’Homme au sein du département des Affaires étrangères à Berne et je me suis rendu à ce titre il y a deux ans en Israël. A l’époque, je suis également allé à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem et j’ai réalisé qu’Israël est un pays avec une histoire agitée et compliquée. Une société multiculturelle, une démocratie fragile, le pays des start-ups avec des fossés socio-économiques. Une puissance militaire mais avant tout un pays très résilient que j’observe avec un vif intérêt et, en tant que diplomate, avec une empathie critique.
ELL : Vous entrez en fonctions dans un pays en guerre. Quelles peurs avez-vous éprouvées en venant ?
SG : Je n’ai éprouvé aucune peur. J’ai vu la guerre en de nombreux endroits, à Bagdad, en Ukraine, au Nigéria. Depuis le 7 octobre, il est certain que la situation à Tel-Aviv est difficile, mais ce n’est pas comme à Kiryat Shmona. Ma femme qui a vécu la guerre en Ukraine éprouve plus de craintes quand la sirène retentit. Bien évidemment, j’ai discuté avec elle en détail de la question de savoir si nous partions en famille.
ELL : Quels sont vos objectifs pour les prochaines années en Israël ? Quels sont les points sur lesquels vous allez particulièrement vous concentrer ?
SG : On apprend vite en Israël qu’ici les choses bougent très vite. Etablir un plan quadriennal n’est pas réaliste et, à mon avis, empêche de garder l’esprit ouvert. Les intérêts et les valeurs de la Suisse constituent l’épine dorsale de mon travail. La politique et la politique de sécurité ainsi que la politique de paix sont les axes forts. La mémoire de la Shoah est également pour moi un point de départ. Je suis aussi impliqué contre l’antisémitisme.
ELL : Comment évaluez-vous les relations actuelles entre Israël et la Suisse ? Quels sont les points susceptibles d’être améliorés ?
SG : La Suisse s’est montrée très solidaire avec Israël après le 7 octobre. La durée de la guerre à Gaza a suscité des critiques. Il est évident que la guerre rétrécit notre marge de manœuvre. Je pense qu’il y a un fort potentiel concernant la relation entre Israël et la Suisse, notamment dans le domaine de l’innovation où les deux pays ont beaucoup à offr
ELL : Ce n’est pas la même chose de vivre ici ou de venir en visite. Qu’est-ce qui vous a particulièrement frappé durant vos premières semaines ici.
SG : J’ai immédiatement remarqué à quel point les gens sont directs. J’ai été frappé par la simplicité et le sens de l’improvisation mais également par une certaine dureté dans les relations. Les disputes sont bruyantes, ce qui est certainement aussi le signe d’une démocratie vivante. On ne se rend pas non plus toujours compte de la diversité régnant dans le pays quand on n’y vit pas. Pendant mon court séjour, j’ai déjà rencontré le seul député Druze et le plus important politicien arabe et j’ai assisté à un mariage de Sépharades orthodoxes. J’étais à Nazareth et y ai rencontré des ONG arabes-israéliennes et je me suis rendu trois fois à la frontière avec Gaza, en particulier à Nir Oz et Sderot qui ont énormément souffert de l’attaque du Hamas du 7 octobre.
ELL : Monsieur l’ambassadeur, merci beaucoup pour cet entretien !