Rapport mensuel: „On ne peut s’empêcher de la détester et de l’aimer“

dans Entre les Lignes/Rapport mensuel

 La gare centrale des bus au sud de Tel-Aviv, un colosse de béton sur huit étages, est un monde parallèle où se rencontrent notamment les travailleurs étrangers, les immigrants et les réfugiés. Cette monstruosité architecturale semble attirer les personnages louches et la criminalité, mais elle offre également de nombreuses surprises car elle dispose de galeries d’art, de théâtres et même d’une grotte hébergeant des chauve-souris.

Par Katharina Höftmann

Nous nous rencontrons au coeur des quartiers sud de Tel-Aviv, au coin de la rue Levinsky Yesod Hamaala. Le niveau sonore est si élevé qu’on ne s’entend même pas parler, notamment à cause du marchand de légumes qui s’époumonne derrière nous pour vanter la qualité de ses patates douces. „Cinq shekels les deux kilos“ hurle-t-il aux passants, sidéré qu’ils ne se jettent pas sur cette offre si alléchante. Ici, il n’y a pas que le prix de la nourriture qui tranche avec les tarifs normalement pratiqués dans la ville. La structure démographique est totalement différente du reste de Tel-Aviv, ville juive à 99 %. Ce quartier, principalement habité par des travailleurs étrangers, des immigrants et des réfugiés, est une véritable mosaïque ethnique avec ses Africains, ses Chinois, ses Philippins. Les rues grouillent de monde et nous nous retrouvons au milieu de toute cette agitation. Nous sommes un groupe d’une dizaine de personnes qui veulent visiter la gare centrale des bus. Mais à côté de ce qui nous attend à l’intérieur, l’endroit est presque calme. Nous allons pénétrer dans ce bloc de béton haut de huit étages sur 230 000 mètres carrés qui ne laisse pratiquement pas filtrer la lumière du jour et qui a été construit sur d’anciennes orangeraies. Une monstruosité architecturale qui n’a pas son égal en Israël.

La gare centrale des bus à Tel-Aviv, une monstruosité architecturale sans pareil (photo : KH)
La gare centrale des bus à Tel-Aviv, une monstruosité architecturale sans pareil (photo : KH)

„Le sud de Tel-Aviv n’a jamais été particulièrement huppé, mais la gare centrale des bus, cet affreux monstre, a définitivement ruiné le quartier“ déclare Elad, notre guide, un architecte qui dit tout haut ce que pensent la plupart des Israéliens. „Mais même si on la déteste, on finit quand même par l’aimer quand on la connaît mieux“. Ceci dit, la majorité des Tel-Aviviens issus d’autres quartiers ne s’aventurent pas à  la gare centrale. Dans le meilleur des cas, ils descendent des bus au niveau sept et se hâtent de quitter l’enceinte de la gare. L’organisation „CTLV“, qui outre des visites de la gare propose également des promenades guidées dans les quartiers sud afin de montrer aux personnes intéressées „une autre vision“ que la criminalité et la pauvreté pour lesquelles le quartier est réputé, veut changer les choses.

Elad conduit notre groupe à travers l’enchevêtrement de rampes et d’escaliers roulants en panne, le tout dans une odeur acre d’urine. Il nous montre des galeries d’art dont nous ne soupçonnions pas l’existence et nous explique que la gare ne compte pas moins de trois théâtres, deux synagogues et trois églises. Il nous montre des détails qui nous échapperaient autrement, par exemple que le sol du hall principal du quatrième niveau est dallé avec de très petits carreaux (d’environ 25 x 25 cm) comme ceux utilisés normalement dans les anciens appartements israéliens.  Au niveau trois, il nous raconte, pour ainsi dire en passant, qu’une femme a été violentée et assassinée dans les toilettes. C’est aussi cela la gare des bus. Elle comporte beaucoup de coins et de recoins qui semblent effrayants. Peu ou pas de caméras, de longs couloirs déserts. On pourrait facilement y tourner des films d’horreur ou encore le nouveau Batman : en effet, presque à côté du lieu du crime se trouve une grotte protégée abritant des chauve-souris dans un tunnel que devraient normalement emprunter les bus pour se garer.

D’après Elad, la moitié environ de la surface de la gare est occupée par des boutiques. On ne voit généralement l’autre moitié que dans le cadre d’une visite gidée, car certains étages sont tout simplement fermés. A l’époque, les sans-abri et les drogués s‘y étaient installés, mais un service de sécurité veille à empêcher les squats. Seuls quelques chats errants rôdent dans les couloirs non éclairés du niveau deux. A l’instar des chauve-souris, ces chats font partie de l’écosystème performant  de la gare où on ne trouve ni rats ni insectes mais dont les comptes sont résolument dans le rouge. La société gérant la gare a en effet 200 millions de dettes car les frais de fonctionnement dépassent de loin les rentrées. La municipalité et le pays n’ont jamais investi le moindre shekel  dans le projet.

Subjugués par la diversité extraordinaire de l’environnement, nous cessons rapidement de nous demander pourquoi une ville de la taille de Tel-Aviv s’est dotée de la deuxième plus grande gare de bus du monde. Au quatrième niveau, nous nous retrouvons à Chinatown, puis nous entrons dans Little Philippines et terminons avec la Thaïlande. Au troisième niveau sur la droite, nous voyons des magasins africains et sur la gauche des robes éthiopiennes traditionnelles. Nous déambulons le long de la rue des magasins de chaussures qui sépare les nombreux cafés Internet des changeurs et des boutiques proposant des articles érotiques. De la neige artificielle s’échappe de l’un des magasins, de la musique orientale de l’autre. L’univers de la gare fascine, fait perdre tout sens de l‘orientation : sud, nord, ouest, est – on ne sait plus où on se trouve. La ville au dehors ne joue plus aucun rôle dans cette „ville couverte“ pour reprendre l’expression qui a été utilisée à l’époque pour décrire la gare. Et si on ne voyait pas, de temps en temps, un Israélien avec sa kippa, on en oublierait dans quel pays on se trouve.

Hall principal de la gare. Une véritable fourmilière où se retrouvent les immigrants, les travailleurs étrangers et les réfugiés (photo : KH)
Hall principal de la gare. Une véritable fourmilière où se retrouvent les immigrants, les travailleurs étrangers et les réfugiés (photo : KH)

Elad conduit notre groupe à travers l’enchevêtrement de rampes et d’escaliers roulants en panne, le tout dans une odeur acre d’urine. Il nous montre des galeries d’art dont nous ne soupçonnions pas l’existence et nous explique que la gare ne compte pas moins de trois théâtres, deux synagogues et trois églises. Il nous montre des détails qui nous échapperaient autrement, par exemple que le sol du hall principal du quatrième niveau est dallé avec de très petits carreaux (d’environ 25 x 25 cm) comme ceux utilisés normalement dans les anciens appartements israéliens.  Au niveau trois, il nous raconte, pour ainsi dire en passant, qu’une femme a été violentée et assassinée dans les toilettes. C’est aussi cela la gare des bus. Elle comporte beaucoup de coins et de recoins qui semblent effrayants. Peu ou pas de caméras, de longs couloirs déserts. On pourrait facilement y tourner des films d’horreur ou encore le nouveau Batman : en effet, presque à côté du lieu du crime se trouve une grotte protégée abritant des chauve-souris dans un tunnel que devraient normalement emprunter les bus pour se garer.

D’après Elad, la moitié environ de la surface de la gare est occupée par des boutiques. On ne voit généralement l’autre moitié que dans le cadre d’une visite guidée, car certains étages sont tout simplement fermés. A l’époque, les sans-abri et les drogués s‘y étaient installés, mais un service de sécurité veille à empêcher les squats. Seuls quelques chats errants rôdent dans les couloirs non éclairés du niveau deux. A l’instar des chauve-souris, ces chats font partie de l’écosystème performant  de la gare où on ne trouve ni rats ni insectes mais dont les comptes sont résolument dans le rouge. La société gérant la gare a en effet 200 millions de dettes car les frais de fonctionnement dépassent de loin les rentrées. La municipalité et le pays n’ont jamais investi le moindre shekel  dans le projet.

Le niveau un est totalement désert (photo : KH)
Le niveau un est totalement désert (photo : KH)

La nouvelle gare centrale des bus – telle est sa désignation officielle –  est un projet qui était dès le départ voué à l’échec. Les premiers plans de construction remontent à 1959 mais la gare n‘a été ouverte qu‘en 1993. L’énumération de la longue liste des investisseurs, des faillites, des corrections des plans de construction et des opérations de sauvetage, nous fait comprendre que cette gare a collectionné les mauvaises décisions, ce qui est d’ailleurs souvent le cas des grands projets.  De nombreux Israéliens aimeraient  que le bâtiment soit démoli, mais ce souhait est tout aussi utopique que l’espoir de voir les choses s’arranger en ce qui concerne cette gare.

Dans l’intervalle,  – comme souvent en Israël – on fait contre mauvaise fortune bon coeur. Après tout, tout n’est pas à jeter : le niveau zéro héberge l’abri antiaérien le plus grand du monde capable d’accueillir jusqu’à 16 000 personnes. Sur ce même niveau quelque 5 tonnes de déchets sont revalorisées chaque semaine dans le centre de recyclage de la gare. Et au niveau sept où les voyageurs montent et descendent le soleil pointe tout à coup. De là, on a une vue extraordinaire sur la ville et sur la mer. Et de plus, une délicieuse odeur de gaufre chatouille soudain agréablement les narines.

Elad, notre guide, veut montrer aux visiteurs les multiples visages de la gare centrale des bus (photo : KH
Elad, notre guide, veut montrer aux visiteurs les multiples visages de la gare centrale des bus (photo : KH

Au bout de deux heures et demie, notre visite se termine. Il est 16 h 30. C’est bientôt Shabbat et notre guide nous abandonne dans cette gare qu’il nous faudrait sans doute des années pour vraiment bien connaître. A cette heure, l’agitation se calme peu à peu et la gare se vide lentement. Les commerçants ferment boutique et nous cherchons pendant plusieurs minutes une sortie qui soit encore ouverte. Le monstre de béton nous „recrache“ rue Tsema’h David aussi brutalement qu’il nous a „avalés“. Cinq minutes plus tard, nous revoici en plein Tel-Aviv et les passants parlent tous hébreu. Nous avons l’impression d’être rentrés à la maison après un long voyage.

Autres informations :

Site Internet de l’organisation  „CTLV“ avec des informations sur les visites guidées proposées (en anglais)
http://ctlv.org.il/?lang=en