Né à Vienne en Autriche en 1922, Felix Burian a posé un jalon dans l’histoire des produits allemands présents en Israël ou, plus exactement, il a amorcé le processus de commercialisation de ces produits. Cinq ans avant l’officialisation des relations diplomatiques entre les deux pays, Felix Burian a ouvert le premier atelier de réparation Volkswagen. Felix Burian, qui vit maintenant avec sa femme Netty dans une banlieue de Tel-Aviv, a eu une vie riche, consacrée à ses deux passions : l’automobile et l’archéologie.
Par Jennifer Bligh
Ses mains retracent son histoire. A chaque pli son anecdote, même si ses ongles sont maintenant soignés et ne portent plus les traces d’huile de moteur ou de graisse qu’on retrouve chez les passionnés de mécanique automobile.
Lorsqu’on lui demandait ce qu’il voulait faire quand il serait grand, Felix Burian ne savait jamais s’il devait répondre mécanicien automobile ou archéologue. Les événements décidèrent pour lui. En 1938, la vie confortable de la famille Burian prit brutalement fin. Les Burian partirent pour la Palestine sous mandat britannique et tous leurs biens, y compris leurs passeports, furent perdus ou volés pendant la dernière étape du voyage.

„Au début, nous étions des illégaux“ se rappelle Felix Burian. Ils passèrent les premières nuits séparés, chez des familles qui hébergeaient les nouveaux arrivants pour une nuit. „Je me rappelle encore aujourd’hui le premier repas que j’ai mangé : du poisson fumé et ensuite du pain et du ‘halva“ raconte-t-il. Chaque jour, ses parents et lui-même traînaient devant les cafés de Tel-Aviv pour écouter les nouvelles d’Allemagne. „Je crois me rappeler qu’à l’époque les Russes diffusaient les informations en allemand“ dit-il et il explique que ses parents ne parlaient alors pas l’hébreu et qu’ils ne l’ont jamais vraiment appris. D’ailleurs, ce n’était pas nécessaire. A l’époque, Israël comptait suffisamment de „Jeckes“ et il croit se souvenir que l’allemand n’était pas mal vu comme langue, ni dans la rue, ni au travail.
Huile de moteur dans la rue Shenkin
Le père était fourreur, un métier sans avenir en Terre Sainte, aussi Felix Burian dut-il démarrer très tôt son apprentissage. Il avait été accepté par deux mécaniciens automobiles allemands qui, à l’instar de beaucoup d’autres, avaient un petit garage dans la rue Shenkin à Tel-Aviv. „Nous ne parlions qu’allemand, les clients étaient tous Allemands et les voitures étaient pratiquement toutes allemandes“. Après trois ans d’apprentissage („je donnais tout ce que je gagnais à ma mère“), il se mit à son compte en 1946. Il ouvrit à crédit un garage minuscule avec juste assez de place pour deux voitures. Le 28 août 1947 il épousa son amie Netty et quelques mois plus tard le couple eut un enfant.

Une histoire de passion
Avoir son propre garage ne signifiait pas seulement avoir plus de responsabilité mais aussi s’éloigner davantage des études d’archéologie. Néanmoins, dès 1952, Felix Burian fit de l’archéologie son principal hobby. 95 % de ses pièces archéologiques proviennent de plus de 70 sites découverts en Israël. Il a voyagé dans le monde entier, jusqu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour apprendre et échanger et pour rapporter ses trésors en Israël. Il les entreposa d’abord dans sa grande maison qui, peu à peu, fut envahie et donna ensuite son impressionnante collection au musée Tefen, dans le nord d’Israël, ne gardant chez lui que quelques pièces parmi ses préférées.
Rendre l’impossible possible
Très vite, le premier garage de Felix Burian se révéla trop petit car les clients ne tardèrent pas à apprécier son sérieux et sa minutie. „Nous devions souvent travailler sur le trottoir devant le garage“ se rappelle Felix en riant. Avec ses deux compagnons, un mécanicien et un tourneur, il put tirer profit de l’expérience acquise pendant les années de guerre, quand le pays était à court de pièces de rechange et de matériel. Impossible était un mot tabou. „Nous avons par exemple réparé des moteurs avec des tiges de cuivre filetées et la réparation était si solide qu’elle aurait pu tenir pendant trente ans“ raconte Felix. L’équipe était spécialisée dans les marques allemandes.

Pendant la guerre d’indépendance, Felix Burian troqua son bleu de travail pour un autre uniforme et travailla comme mécanicien dans un grand garage militaire heureusement situé à proximité de son propre garage. „Les techniciens militaires arrêtaient le travail à 4 heures, ce qui me permit de continuer à m’occuper de mes clients“. En outre, Felix avait engagé un employé afin que, dans la mesure du possible, son garage reste ouvert aux autres heures de la journée.
Les trois copains de l’atelier
Felix Burian est incontestablement un homme d’affaires avisé. Lentement mais sûrement son atelier atteignit ses limites. Un jour, alors que ses deux compagnons et lui étaient en train de réparer l’embrayage d’un camion sur le trottoir faute de place dans le garage, il eut une idée : „Nous devons préparer l’avenir“. Il fut très intéressé lorsqu’il entendit que Volkswagen voulait ouvrir un atelier de réparation agréé en Israël. „Toutefois, je n’avais pas le temps de me déplacer, nous avions beaucoup trop à faire ici“ se souvient-il. Par ailleurs, il s’inquiétait car il fallait pour Volkswagen des outils spéciaux difficiles à obtenir. Finalement, il passa quand même voir le futur importateur qui fut impressionné, notamment par la presse hydraulique construite par Felix Burian. „Si mon supérieur est d’accord, je vous engage“ dit-il.
Monsieur et Madame ‚Volkswagen Felix‘
En 1960, cinq ans avant le début officiel des relations diplomatiques entre Israël et l’Allemagne, Volkswagen ouvrit sa première concession en Israël. La coccinelle connut un succès immédiat, suivie par la Passat, la Golf et le Transporter. Felix Burian ne se contenta plus de réparer, il vendit aussi les véhicules. Sa concession située à la jonction entre Tel-Aviv et Peta’h Tikva portait l’enseigne „Volkswagen Felix“ en allemand et en hébreu. Sa femme Netty, que tout le monde appelait ‚Madame Felix‘ s’occupait du travail de bureau. En 1962, „Monsieur et Madame Felix“ se rendirent pour la première fois à Wolfsburg. „En fait, je voulais voir l’endroit qui me permettait de gagner mon pain“ dit Felix en souriant.

Les voitures fabriquées à Wolfsburg eurent un vif succès. VW devint un gros importateur et un très important employeur en Israël. Après des débuts modestes (3000 véhicules vendus en 1963), un solide partenariat se développa au cours des cinquante années suivantes. VW vient d’ailleurs de signer un contrat de 30 millions d’euros avec 19 fabriques israéliennes.
Et Felix Burian ? Il ne conduit plus mais il continue à apprécier la cuisine viennoise que Madame Felix lui mitonne avec amour et il aime se plonger dans ses vieux albums, l’un avec des photos sur Volkswagen, l’autre avec des photos sur l’archéologie.

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