Magazine sur la vie en Israël

Rollers contre poussette

dans Culture & Sports/Entre les Lignes

Je fais du roller maintenant. Chaque samedi, à sept heures je prends mes rollers et me rends au parc. Cela peut sembler simple, mais la route a été longue. Je m’explique :

Adolescente, j’adorais faire du roller. Fin des années 90 on recensait plus de 6 millions de pratiquants en Allemagne et je faisais partie du lot. Je m’élançais sur la piste cyclable de Stralsund jusqu’à Parow en passant devant le BfA qui était à l’époque le principal employeur de la région. Ma meilleure amie, Anne, partait avec moi et nous avalions le bitume en papotant, échangeant les derniers potins. Depuis, le BfA a fermé ses portes et Anne n’est plus ma meilleure amie car je suis partie et elle est restée. Et je n’ai plus fait de roller. Pendant longtemps, j’ai pensé qu’avoir un hobby était bon pour les adolescents ou pour les hommes. Parmi les femmes que je connais en Allemagne, rares sont celles qui ont vraiment un hobby, surtout si elles ont des enfants. Il leur arrive d’aller à un cours de yoga ou dans une salle de sport, mais certainement pas de pratiquer régulièrement deux fois par semaine pendant deux heures comme le fait par exemple mon mari.

Les pères continuent à vivre comme avant, les femmes mettent leur vie entre parenthèses

 De nombreux pères continuent leur vie comme avant, tant sur le plan professionnel que privé alors que les femmes, à l’instar d’un camion pris dans un embouteillage, restent au point mort. Est-ce parce qu’elles allaitent ? Est-ce un phénomène biologique, sociétal ou cela est-il dû au fait que les hommes savent être plus égoïstes que les femmes ? En Allemagne, par exemple, les pères passent en moyenne 26 h par semaine avec leurs enfants contre 64 heures pour les femmes. Pendant que je lis ces chiffres de mai 2019 émanant de l’Institut de l’économie allemande, je me demande à quoi ressemblent les statistiques sur ce point en Israël.   Si je me fie à ce que je vois, je dirais que sur les personnes qui vont chercher les enfants à l’école 30 pour cent sont des pères, 50 pour cent des mères et les 20 pour cent restants des grands-parents ou des baby-sitters.

En Israël, les grands-parents jouent un rôle très important et soutiennent leur famille de toutes les manières possibles. Ma belle-mère répond toujours présente quand nous avons besoin d’elle. Bien qu’elle n’habite pas près de chez nous, elle arrive immédiatement avec son kibbeh quand l’un des enfants est malade, quand nous voulons sortir mon mari et moi ou quand nous souhaitons passer un week-end en amoureux à Rome. J’en parlais récemment avec ma mère et lui ai dit : „Je me demande comment vous avez fait sans l’aide de vos parents…“ Ce à quoi elle m’a répondu : „Nous t’avons toujours emmenée avec nous. Si j’ai eu un enfant, ce n’était pas pour le confier à quelqu’un d’autre“. Même si je suis infiniment reconnaissante à ma mère pour son esprit de sacrifice et son dévouement, je dois reconnaître que je fonctionne différemment. J’ai besoin de temps en temps de faire une pause, de m’éloigner un peu de mes enfants, comme mon père qui se rendait régulièrement à des échanges de chercheurs à Warna ou à Moscou quand j’étais petite (parfois pour huit semaines consécutives).

Un congé de maternité de seulement trois mois change la manière de voir les choses

Alors que j’ai eu beaucoup de mal à confier mon premier enfant à d’autres et, ce faisant, éprouvé un fort sentiment de culpabilité, les choses ont totalement changé quand j’ai eu mon second enfant. J’ignore si c’était à cause de l’épuisement que je ressentais ou si j’avais tout simplement adopté la manière israélienne de fonctionner. En Israël, en effet, la plupart des mères que je connais partent régulièrement avec leurs amies en vacances. Elles ont des hobbies, par exemple escalade, surf ou yoga et, le samedi matin, on voit principalement des pères avec leurs enfants dans les rues de Tel-Aviv. Je suppose que les femmes ont, à ce moment précis, d’autres occupations que celles de mère. Il faut aussi savoir que l’Etat israélien force pour ainsi dire les femmes après trois mois de congé de maternité à confier leurs enfants à des étrangers et à retourner ainsi à la vie active où tout ne tourne pas autour des bambins. Chez nous, cela a duré un peu plus longtemps, les enfants sont restés cinq mois à la maison (dont deux avec leur père) et n’ont été gardés par une personne extérieure qu’à temps partiel. Mais pour l’Allemagne, cela fait de moi une mère ‚atypique‘.

Il m’a malgré tout fallu plusieurs années avant d’accepter l’offre de mon mari de prendre du temps pour moi, pour me libérer du piège du perfectionnisme dans lequel j’étais tombée. Depuis, je voyage régulièrement seule, je sors de nouveau le soir et, une fois par semaine, je prends le temps de faire du sport. Lors de mon dernier séjour à Berlin sans les enfants, une amie m’a rappelé à quel point c’était agréable de faire du roller. Je n’ai fait ni une ni deux et me suis acheté des rollers en me promettant d’en faire à Tel-Aviv. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui font du roller à Tel-Aviv, tout au moins je n’en vois pas beaucoup mais dans l’école de mon cadet l’un des pères fait également du roller. Il m’a montré la meilleure route à suivre et je n’ai plus eu la moindre excuse pour ne pas pratiquer.

Je crois que j’ai rarement été aussi heureuse de me lever à 6 h et demie le samedi matin et de parcourir le parc sur mes huit roues, un casque sur les oreilles. Pendant une heure, je ne pense à rien, je vis tout simplement l’instant présent. Je me concentre sur mon parcours, les descentes et les inégalités du sol.

Ensuite, je me réjouis d’autant plus de retrouver mes petits chéris.

Heureuse sur huit roues et sans les enfants (photo : privée)
Heureuse sur huit roues et sans les enfants (photo : privée)

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