Après six semaines en Europe, je suis rentrée à Tel-Aviv. Normalement, je suis heureuse de rentrer après une longue absence, de retrouver mon lit, ma ville, mes amis, mon ciel bleu, ma vie. Mais cette fois, j’avais le coeur lourd. Où que je regarde, je ne vois que désespoir. La guerre s’éternise. Elle nous plombe tous. Personne, ni le Hamas, ni même le gouvernement israélien ne semble vouloir y mettre fin. Ceci étant dit, il ne faut pas confondre la cause et les effets de la guerre. Les citoyens manifestant contre Bibi savent évidemment que c’est le Hamas qui est l’épitome du mal. Ils manifestent car ils attendent du gouvernement qu’il les protège contre ces monstres. Toutefois, pour nous, citoyens vivant en Israël, ce qui prévaut c’est que cette guerre n’en finit pas.
Tenir envers et contre tout depuis près d’un an
Quand j’entends le chef des armées nous demander de tenir encore, de faire face en plus à la guerre avec le Hezbollah, je me sens épuisée. Nous résistons, nous tenons le coup. Cela fait bientôt un an que nous tenons le coup, et je pense particulièrement aux familles des otages qui supplient depuis près d’un an qu’on les écoute, qu’on les entende. Maintenant que le gouvernement israélien se concentre sur le nord, eux piétinent et ont l’impression de continuer à faire du sur place. Quelqu’un peut-il s’imaginer ce que cela veut dire, ce que ces familles endurent ? Presque un an sans nouvelles qui de sa fille, qui de son fils, qui de son mari ou de son neveu, de son frère, de sa sœur ? Tout en sachant qu’ils ont été kidnappés avec une inimaginable brutalité et qu’ils sont détenus dans des conditions absolument épouvantables. La moitié environ des otages seraient encore vivants, ce qui représente 50 familles, 50 univers qu’il faut absolument arracher aux ténèbres et sauver.
Alors que le conflit avec le Hezbollah s’intensifie, tout espoir de cessez-le-feu avec le Hamas s’évanouit. La désespérance est sans limite.
La semaine dernière, j’ai commencé la lecture d’un ouvrage de Ron Leshem. Cet auteur et journaliste israélien très connu, dont la famille est originaire du kibboutz Be’eri, a publié aux éditions Rowohlt un ouvrage sur le 7 octobre sous le titre « Feuer » (feu). Dès les premières pages, il tire une conclusion qui m’a paniquée. Il compare la situation des Juifs allemands dans les années 30 avec la situation actuelle des Israéliens. Mais pas comme on pourrait le croire. Non. Il décrit comment, à l’époque, les Juifs ne sont pas partis à temps parce qu’ils n’ont pas su lire les signes ou ne les ont pas pris suffisamment au sérieux. Et comment les Israéliens ne voient peut-être pas aujourd’hui que leur pays va à sa perte. « Chacun doit systématiquement se demander : Aurais-je quitté à temps l’Allemagne et l’Europe ? Ou serais-je resté, refusant de voir la réalité ? Vas-tu élever tes enfants dans un environnement incertain ou est-il temps de partir, de franchir la mer et de t’installer dans un lieu moins dangereux ? »
Où pouvons-nous bien aller ?
Ron Leshem a écouté sa voix intérieure et s’est installé il y a déjà dix ans avec sa famille aux Etats-Unis, un pays où les crimes antisémites ont augmenté de 63 pour cent en 2023. Tout cela m’arrache un triste sourire. Où aller ? L’idée qu’Israël est un bateau en train de sombrer m’est insupportable, je ne puis l’accepter, tout au moins tant que nous sommes en pleine guerre. J’ai mis le livre de côté mais les doutes subsistent.
Sommes-nous les véritables sionistes car nous n’abandonnons pas le navire mais enfilons au contraire des gilets de sauvetage et tentons de sauver ce navire ? Ou sommes-nous des fous qui vont à leur perte pour un pays qui devrait abandonner son combat contre les persécutions qui ne faiblissent pas depuis des siècles et des siècles ?