Par Jennifer Bligh
Eshkol pourrait être synonyme de culture de pommes de terre et de tomates. En effet, la région est si fertile qu’elle couvre pratiquement 70 pour cent des besoins du pays. Cependant, les 14 500 habitants des 31 communes, kibboutzim et moshavim ont actuellement d’autres priorités que l’agriculture, à savoir le terrible danger représenté par les tunnels du Hamas et la course aux abris à cause des roquettes qui ne cessent de tomber sur la région. Quatre habitants* d’Eshkol ont accepté de raconter leur quotidien au Groupe Israël-Suisse.
*Les noms sont connus de la rédaction

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Tamara, originaire d’Hanovre, son mari et ses deux filles, habitent à Ein Habsor à environ six kilomètres de Gaza.
Tamara travaille pour l’administration (photo : privée)
„Depuis le début de l’opération „Bordure protectrice“ nous dormons tous les quatre sur des matelas dans notre abri. Mon mari et moi nous efforçons de donner à nos filles le sentiment qu’elles sont en sécurité, mais notre cadette de sept ans est traumatisée depuis qu’une roquette Quassam est tombée sur le parking où nous nous trouvions. Notre aînée qui a dix ans a été envoyée chez sa grand-mère qui habite en dehors de la région, mais après trois jours elle a voulu revenir malgré le conflit.
Pour nous, il ne s’agit pas d’une opération mais bien d’une guerre. La semaine dernière, les roquettes lancées de Gaza ont brisé toutes nos vitres pendant la nuit. Le quotidien est devenu une épreuve de force, rien qu‘aller au supermarché me terrifie. En outre, nous entendons également le bruit des attaques israéliennes sur Gaza et n’arrivons pratiquement pas à fermer l’oeil pendant la nuit. Heureusement qu’il y a les abris, même si nous n’avons que 15 secondes pour nous y rendre.
Nous vivons depuis sept ans à Eshkol et c’est notre troisième guerre. Bien sûr que nous nous demandons si nous allons rester, mais ici c’est notre patrie. Une fois la guerre terminée, il est clair que nous aurons besoin d’une assistance psychologique pour surmonter les traumatismes subis“.
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Irene, mère de deux fils actuellement
incorporés,habite dans le kibboutz Urim,
à environ 17 kilomètres de Gaza.
Elle travaille au centre de jour pour seniors
à Neve Eshkol, à trois kilomètres de Gaza
„Dans le kibboutz Urim nous n’entendons pas seulement ce qui se passe à Gaza mais le vrombissement incessant des avions et des hélicoptères de l’aéroport militaire voisin. Nous savons que la situation est particulièrement sérieuse quand les hélicoptères viennent de l’ouest, car ils ramènent généralement des blessés graves de Gaza. De nombreux soldats viennent à Neve Eshkol dans le centre de jour pour seniors où se trouve le projet suisse du parcours d’entraînement cérébral qui a été inauguré par le Groupe Israël-Suisse. C’est là que je travaille. Au centre, les soldats peuvent boire et manger, recharger leur portable et se doucher. Ils sont tous extrêmement tendus car ils savent qu’ils vont retourner sous peu au front.
Notre grande salle à manger est un abri, c’est pourquoi nous y passons la majeure partie du temps. Chez nous, les seniors ne restent pas seuls. L’esprit communautaire est remarquablement développé et il est vital pour les seniors que nous soyons là chaque jour, c’est pour eux un gage de normalité. Il n’en reste pas moins que la situation est difficile. C’est chez elles, dans leur maison, que les personnes âgées se sentent le mieux, mais elles n’y sont pas à l’abri.
Les habitants ont entre temps déserté de nombreuses communes, les dégâts matériels sont importants. Je viens de parler avec une dame dont la chambre à coucher a été démolie par une roquette. Heureusement, elle venait de sortir de chez elle. Nous vivons 24 h sur 24 dans l’inquiétude, moins d’ailleurs en ce qui nous concerne personnellement qu’en ce qui concerne la communauté dans son ensemble.
J’habite la région depuis vingt ans et, en temps de guerre, la solidarité qui nous unit, est encore plus forte“.
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Sharon vit et travaille dans le kibboutz
Magen, à cinq kilomètres de Gaza.
Ses parents sont originaires de Suisse
et d‘Autriche. Elle a deux enfants (photo : privée)
„Notre vie a pris un tour dramatique. Une roquette Quassam est tombée sur notre kibboutz il y a une heure, mais D.ieu merci elle n’a causé que des dégâts matériels. Nous essayons de toutes nos forces de vivre normalement mais c’est très difficile vu les dangers constants auxquels nous sommes exposés. Nos deux enfants de trois et sept ans ont seulement le droit de jouer dehors à côté de notre maison ou dans le jardin d’enfants car il faut qu’ils soient près d’un abri en cas de besoin. A noter d’ailleurs que de nombreuses personnes n’ayant pas d’abri dans leur propre maison passent la nuit dans le jardin d’enfants.
Le plus grand danger ce sont les tunnels. Au cours des treize dernières années, nous nous sommes habitués aux tirs de mortiers et de roquettes, nous savons où se trouve l’abri le plus proche, mais les tunnels nous terrifient, comment se protéger contre cette menace ? Nous ne savons jamais si des hommes armés ne vont pas soudain surgir d’un tunnel et nous attaquer. C’est très éprouvant. Nous faisons confiance à Tsahal et aux gardes du kibboutz, mais j’ai quand même peur. Comment puis-je protéger mes enfants ? Nous faisons tout pour dédramatiser, en disant par exemple le matin „bonjour“ et le soir „bonne nuit“ aux roquettes. Ma fille de sept ans et son amie ont même écrit une chanson sur les roquettes et mon petit garçon s’ébat tranquillement dans la piscine tandis que les roquettes volent au-dessus de nos têtes.
Mais je ne peux m’empêcher de penser aussi aux enfants de Gaza. Il y a deux nuits, des missiles se sont abattus sur Gaza, le bruit assourdissant faisait penser à une tempête sans pluie. Il va falloir trouver une solution politique et conclure un accord de paix et aussi régler le problème des tunnels avec les terribles dangers qu’ils représentent“.
Michael vit à Ein Habsor,
à six kilomètres de Gaza.
Il travaille dans le kibboutz Magen.
Il a deux enfants (photo : privée)
„La situation est incroyablement frustrante, car personne ne sait quand le conflit va se terminer. Regardons les choses en face : cela fait plus de trois semaines que ça dure et personne ne peut dire comment et quand cela s’arrêtera. Impossible de s’habituer aux roquettes. Je raconte à mes deux enfants de trois et six ans que lorsque j’étais petit nous allions nous baigner à Gaza. C’est comme ça que j’essaie de dédramatiser, en leur montrant qu’à une certaine époque la vie était normale à Gaza. Récemment, ma fille de six ans m’a demandé pourquoi les gens de Gaza tiraient des roquettes sur nous. C’est très difficile de trouver les mots pour donner une réponse acceptable à un enfant. Je suppose qu’à Gaza les enfants posent la même question.
Nous, les adultes, dormons dans notre chambre mais les enfants eux dorment dans l’abri. Par contre, mes parents qui sont dans le kibboutz Magen n’ont pas d’abri, mais ils ne veulent pas partir et quitter leur chez-eux.
La seule chose qui me permette de garder un certain optimisme est que nous sommes le seul peuple libre du Proche-Orient. Nous votons et pouvons nous déplacer à notre guise, ce qui n’est pas le cas dans les pays arabes voisins. Après le soi-disant „printemps arabe“, la situation est devenue beaucoup plus instable dans ces Etats, il n’est que de penser à la Syrie, à l’Egypte et aussi à Gaza“.