Un chat cacher – petite histoire de Pessa‘h

dans Entre les Lignes

Avec cette petite histoire nous souhaitons à nos lectrices et nos lecteurs de très bonnes fêtes de Pessa’h…!

Chat-Pessa'h 2

Mon chat, Gingy, adore le Whiskas et je n’en avais plus à la maison. C’était Pessa’h. Vous pourriez vous demander, chère lectrice, cher lecteur, ce que l’un peut bien avoir à faire avec l’autre et moi-même ne voyais pas trop où pouvait se situer le lien. Mais, comme je tente régulièrement de le faire comprendre, Israël est un pays plein de surprises. Je vais donc me faire un plaisir de vous expliquer comment une grande fête juive a un impact profond, indissoluble et douloureux sur un petit fait domestique.

Donc, le chat n’avait plus rien à manger et ce qu’il préfère ce sont les croquettes Whiskas. Je me rendis illico au supermarché pour remédier au problème. Mais là surprise. Dans le magasin „AM to PM“ ouvert tous les jours, y compris le shabbat, tous les produits contenant des ingrédients interdits pour Pessa’h étaient dissimulés sous une bâche. Un panneau sur lequel était écrit un texte dont j’identifiai le mot ‚Pessa’h‘ était posé sur le rayon proposant normalement un vaste choix de croquettes. Une sorte de rideau en plastique blanc cachait la plupart des sacs et, derrière un trou, je vis un sachet de croquettes portant le tampon „cacher le Pessa’h“. Les autres marques, y compris Whiskas, ne remplissaient apparemment pas les critères voulus car elles étaient cachées derrière le rideau. Supposant que ledit rideau avait été installé uniquement pour ne pas heurter la sensibilité des religieux, j’attrapai le sac de Whiskas et allai à la caisse pour payer. Là, la caissière m’expliqua qu’elle ne pouvait le vendre car il n’était pas „cacher le Pessa’h“. Cacher ? Pessa’h ? Whiskas ? Chat ? Je vous l’ai dit plus haut, ici les choses sont inextricablement et douloureusement liées. Mon chat n’est pas Juif ai-­je rétorqué. Mon chat n’est pas Juif ! Incroyable ce qui arrive à sortir de ma bouche depuis que je vis dans ce pays. L’agent de sécurité à l’entrée du magasin me répondit que le chat était bien évidemment Juif. Comment peux-tu prétendre que ton chat n’est pas Juif ? Sa mère est Juive, et il pointa son doigt sur moi. Ce n’est pas moi qui ai mis le chat au monde, il est donc tout à fait possible qu’il soit effectivement Juif. Sa mère c‘est la sale bête qui m’a attaquée il y a quelque temps. Est-­elle Juive ? Y a­-t-­il des comportements, des signes qui pourraient le faire penser ? Lui arrive-­t-­il de prier dans la cour poussiéreuse ? Pendant que ces pensées me traversaient l’esprit, j’eus soudain la sensation que ma tête allait éclater et moi avec.

Nous sommes en plein milieu de la fête de la libération des Juifs et je ne peux pas acheter de Whiskas à mon chat parce qu’il est Juif. Je n’avais pas la moindre idée que je pouvais me retrouver face à un tel problème et me voici soudain arrivée aux limites de ce qui m’est supportable. A dix mètres du supermarché, un restaurant italien proposant des pâtes, de la pizza et même du porc est ouvert. En face d’où je me trouve je vois des gens assis dans un autre restaurant qui tartinent leur ’houmous sur des pitas. Deux jeunes passent devant le supermarché tenant à la main une bouteille de bière interdite. Je ne suis qu’à quelques pas de la vie normale et des cinglés m’expliquent que je ne peux pas acheter de la nourriture pour mon chat Gingy car il est Juif !

De retour à la maison, j’ai décidé que mon chat s’appellerait dorénavant Moïse. Dès demain je lui achèterai un complet noir et un petit chapeau également noir. Si déjà il est Juif, qu’il en ait aussi les signes extérieurs.

(Extrait du livre de Katharina Höftmann „Guten Morgen Tel-Aviv – Geschichten aus dem Holy­Land“ (Heyne) „Bonjour Tel-Aviv – Histoires vécues en Terre Sainte“, Editeur : Heyne)

Illustration : Jacques Korolnyk