Patriotisme pour débutants

dans Culture & Sports/Entre les Lignes

par Katharina Hoeftmann

Jeudi dernier, alors que j’étais assise sur la terrasse tôt le matin (ce qui ne m’arrive pratiquement jamais, ne pensez surtout pas : typique ! Ces écrivains traînassent toute la journée)  le vrombissement soudain de deux F15 déchira le ciel. Trump avait annoncé une attaque imminente contre la Syrie et, avec la précision d’une horloge suisse, l’Allemagne s’était installée dans une ambiance de troisième guerre mondiale. Bien que j’aie tendance à me gausser des peurs de l’Allemagne et de sa tendance à tout exagérer démesurément – je vis en effet en Israël, un pays qui n’est pas facilement gagné par la panique –  j’ai pensé pendant une seconde qui m’a semblé durer une éternité que nous étions effectivement attaqués. Curieusement, je n’ai pas bougé. J’aurais pu courir à l’intérieur, descendre dans notre abri, en fermer la porte métallique et y rester jusqu’à la fin de l’attaque présumée. Que nenni. J’ai gardé les yeux rivés sur le ciel, hypnotisée comme un chat par les phares d’une voiture.

En fait, les deux F15 s’entraînaient pour la parade aérienne qui a lieu chaque année pour la fête de l’indépendance. Israël va fêter les 70 ans de sa renaissance le jeudi 19 avril. Cette jeune nation est riche d’une tradition plusieurs fois millénaire et allie le passé, le présent et le futur. Quoiqu’il en soit, ce jour-là je ne fus pas la seule à penser à une attaque : les services d’urgence reçurent des centaines d’appels, tous émanant d’Israéliens pur jus.

F15 volant au-dessus de Tel-Aviv

C’en fut donc trop, même pour la plupart des sabras (c’est le nom donné à ceux qui naissent en Israël. A noter pour ceux qui l’ignorent que ‘sabra’ est une variété de cactus), si bien que l’armée décida de renoncer aux F15 pour la parade. Ceci est d’autant plus étonnant que cette année les préparatifs pour la fête donnent dans le gigantisme. Pour pouvoir entrer dans la classe de mon fils, il faut se faufiler tant bien que mal entre des milliers de drapeaux et, chaque matin, la classe commence avec l’HaTikva (l’hymne national). Mon fils est aussi excité de voir arriver le 19 avril, date anniversaire de son pays natal, qu’il peut l’être quand je lui promets une glace recouverte de bonbons en grains.

60 DRAPEAUX POUR UNE PISCINE PARTICULIÈREMENT PATRIOTIQUE – ISRAËL SE PRÉPARE POUR LA FÊTE DE L’INDÉPENDANCE (PHOTO : MICHELE SCEMAMA)

En tant qu’Allemande à qui cette forme de patriotisme pour son pays natal est inconnue je suis régulièrement subjuguée quand je vois à quel point l’amour du pays est inculqué dès le plus jeune âge aux Israéliens. Yom Ha’atzmaout (jour de l’indépendance en hébreu) est comparable du point de vue des festivités à la Saint-Sylvestre en Allemagne, mais avec en plus des milliers de drapeaux blanc et bleu que la foule agite avec enthousiasme. Les badauds peuvent s’extasier devant les feux d’artifice et profiter des innombrables concerts donnés à cette occasion, sans parler des fêtes organisées sur les terrasses et balcons.

En tant qu’Allemande, je n’ai aucun mal à m’intégrer à cette ambiance de joie et d’enthousiasme. Cette histoire incroyable, ce miracle, le seul Etat juif au monde, qui comptabilise tant de réussites, compte tant de succès malgré un environnement hostile, tout cela me touche profondément. Et même si je n’agite pas frénétiquement un drapeau, je me dois de signaler que le fait que mon premier enfant soit né il y a quatre ans le jour de la fête de l’indépendance, à 22 heures, au moment où éclataient dans le ciel les premiers feux d’artifice, ne peut pas être un hasard. Evidemment, je voulais l’appeler Herzl, proposition que mon mari, lui-même un sabra, a refusé tendrement en me disant que c’était bien le dernier nom qu’il voudrait donner à son premier-né.

Que voulez-vous, moi non plus je n’arrive pas à me débarrasser de cette tendance allemande à tout exagérer.

A Tel-Aviv, on peut admirer la parade aérienne de la plage (photo : KHC).