Walter Haffner est depuis trois ans et demi l’ambassadeur suisse en Israël.
Il est entré en 1987 au département fédéral des affaires étrangères et a travaillé ces dernières années, entre autres, à Téhéran, à Washington et à Berlin. Il est connu pour sa grande expertise en ce qui concerne le conflit arabo-israélien. Il a évoqué avec le Groupe Israël-Suisse les similitudes culturelles entre Israël et l’Iran, les rapports entre Israël et la Suisse et les problèmes apparemment sans solution …..
L’entretien a été mené par Katharina Höftmann
Groupe Israël-Suisse (GIS) : L’édition en ligne de Yedioth A’haronoth a récemment publié un article dans lequel une représentante de l’ambassade américaine déclare que Tel-Aviv est la ville parfaite pour les membres d’une ambassade. Israël serait une combinaison idéale de qualité de vie et de problèmes politiques complexes, en quelque sorte l’Eldorado des diplomates. Qu’en pensez-vous ?
Walter Haffner (Haffner): C’est peut-être un tantinet exagéré, mais le poste est fascinant tant du point de vue de la constellation politique que de l’environnement. Israël est un véritable défi pour tous les diplomates. Ce fait, combiné aux conditions de vie à Tel-Aviv, est effectivement formidable. Il y a la mer, une vie culturelle très riche et, si on en a le temps (ce qui n’est pas mon cas) une vie nocturne très animée. J’aime être ici.
GIS: Avant de venir en Israël, vous avez été entre autres à Téhéran, Washington et Berlin. En quoi Israël est-il différent de vos autres postes ?
Haffner: Pour un Suisse allemand, être à Berlin c’est être en quelque sorte en terrain familier. Israël est évidemment très différent de l’Allemagne, mais si je compare avec l’Iran, je vois certaines ressemblances. Même si Israël est très fortement orienté sur l’Europe et les Etats-Unis, le côté oriental est bien présent. Il existe des différences intéressantes. Nous autres Européens sommes, par exemple, extrêmement axés sur les solutions et pensons qu’il existe obligatoirement une solution à chaque problème. En Orient, on voit les choses un peu différemment. On nous dit qu’il existe des problèmes qui ne peuvent être résolus et avec lesquels il faut vivre. Et s’ils devaient être résolus, il en résulterait un énorme fracas. Nous avons du mal à nous l’imaginer et à l’accepter mais j’estime que justement à cause de cela nous devrions prêter à nos interlocuteurs une oreille attentive.
En Israël, la manière de parler est très directe et cela me plaît
GIS: Avant d’occuper votre poste, vous n’aviez jamais été en Israël. Qu’est-ce qui vous a surpris ici ?
Haffner: En fait rien car je suis venu sans la moindre idée préconçue. J’ai toutefois remarqué que les Israéliens ont une manière de parler très directe et cela me plaît. Il est toujours bon que l’interlocuteur exprime clairement ses besoins et ses griefs.
GIS: Quels étaient vos objectifs au début de votre mission ?
Haffner: J’essaie toujours de me fixer des objectifs raisonnables. C’est ainsi que j’ai décidé d’essayer de comprendre comment fonctionnent la société israélienne et la politique israélienne. Et force m’est d’avouer que même après trois ans et demi je n’ai toujours pas le sentiment d’avoir tout compris. L’environnement est ici particulièrement stratifié et complexe et je dois à la vérité de dire que même après plusieurs années de présence j’apprends chaque jour quelque chose de nouveau.
GIS: Quelles modifications dans les rapports entre la Suisse et Israël avez-vous pu constater depuis que vous êtes en poste ?
Haffner: Il y a eu des changements. Les rapports bilatéraux sont traditionnellement amicaux et constructifs mais nous avons naturellement connu quelques crispations, par exemple à deux reprises à cause de l’Iran. Toutefois, les relations se sont consolidées à un très bon niveau. La compréhension réciproque s’est améliorée grâce au dialogue. Notre but est en effet identique : garantir l’existence d’Israël dans un environnement paisible, et nous n’y parviendrons qu’en passant par la solution négociée de deux Etats.
Les Israéliens en savent plus sur la Suisse que les Suisses sur Israël
GIS: Que savent les Israéliens sur la Suisse et que devraient-ils savoir ?
Haffner: De nombreux Israéliens sont très bien informés sur la Suisse. Les contacts aux niveaux scientifique, culturel et économique sont extrêmement nombreux et les Israéliens se rendent régulièrement en Suisse et ont des connaissances pointues sur notre système politique. Les Israéliens en savent généralement plus sur la Suisse qu’inversement.
GIS: Y a-t-il un déficit d’information sur Israël en Suisse ?
Haffner: Cela dépend naturellement de ce que vous entendez par là. Les connaissances sur Israël et sur sa situation particulière au Proche-Orient sont généralement plutôt superficielles, mais il est difficile de saisir toute la complexité du problème quand on n’est pas sur place. Il ne suffit pas de lire le journal tous les jours. Par ailleurs, Israël n’est pas le seul thème dont se préoccupent les Helvètes intéressés par la politique étrangère.
GIS: La Suisse et Israël coopèrent dans différents secteurs comme la technique médicale et la culture. Quels sont les principaux aspects de ces rapports bilatéraux ?
Haffner: Sur le plan culturel, nous mentionnerons le festival Culturescape, unique en son genre, qui s’est terminé il y a peu. Cette manifestation s’est tenue à la fois en Israël et en Suisse, ce qui est une grande première. Sur le plan économique, les échanges sont importants dans les domaines traditionnels comme la chimie et l’industrie mécanique. Globalement, la coopération fonctionne bien et son niveau qualitatif est très élevé car les conditions sont similaires dans les deux pays. Aucun de nous ne dispose de matières premières et par rapport aux pays voisins nous sommes de petits pays et devons donc miser sur l’esprit d’invention et la force de travail de nos citoyens. Nous avons en conséquence développé chacun une culture axée sur la performance ce qui rend notre coopération très profitable.
Israël crée de nombreuses start-ups remarquables mais il y a un certain manque de persévérance
GIS: Que peuvent apprendre la Suisse et Israël l’une de l’autre ?
Haffner: Israël est incroyablement performant dans le domaine des start-ups qui représentent près de 40 % des exportations israéliennes. La dynamique est extraordinaire dans ce secteur. Il est impressionnant de voir à quelle vitesse des idées développées dans une université sont reprises et mises en pratique par une start-up. Toutefois, de nombreux hommes et femmes d’affaires israéliens m’ont confié qu’il est difficile de rester en contact suivi avec ces start-ups car si elles sont développées à la vitesse de l’éclair elles sont revendues presque aussi vite et on pourrait parfois déplorer un certain manque de persévérance et de planification à long terme. Peut-être cela est-il dû à la mentalité des gens et à l’histoire du pays. Les Israéliens vivent et planifient à très court terme car ils ont appris que les choses peuvent changer très vite.
GIS: Dans quels domaines estimez-vous que la coopération pourrait être améliorée ?
Haffner: La participation des Suisses aux foires et expositions en Israël est encore relativement faible. On note certes de l’intérêt pour telle ou telle foire locale mais les grands marchés asiatiques sont en définitive plus importants. Israël n’a pas toujours la taille critique requise. C’est pourquoi l’ambassade essaie de favoriser la coopération et d’insister sur le potentiel dans tel ou tel secteur – par exemple la technologie de l’environnement et le tri ou plus exactement le recyclage des déchets pour ne citer que ces deux exemples.
GIS: Vous avez beaucoup voyagé dans le pays au cours de ces dernières années- qu’est-ce qui vous a particulièrement impressionné ?
Haffner: Tout d’abord l’infinie diversité de la nature. J’aime le nord, la vallée du Houlé avec ses nombreux oiseaux migrateurs. Mais le désert du Néguev est également fascinant. On y trouve des graines de plantes qui fleurissent encore après 14 ans pour peu qu’elles reçoivent de l’eau. Par ailleurs, le travail de nombreuses organisations comme „Save a Child’s Heart“ ou „Yad Sarah“ m’a beaucoup impressionné. On trouve en Israël de nombreuses personnes prêtes à s’engager pour les autres et à travailler bénévolement. Cette attitude partagée par de nombreux Israéliens en dit long sur cette société et donne espoir et courage.
GIS: Monsieur l’ambassadeur, merci pour cet entretien.
Autres informations :
Interview de l’ambassadeur Walter Haffner concernant le printemps arabe, Swissinfo.ch, 05.05.11
http://www.swissinfo.ch/ger/specials/der_arabische_fruehling/Syrien,_ein_Feind,_der_Israel_Stabilitaet_garantiert.html?cid=30161160
Article sur le travail d’ambassadeur de Walter Haffner, Tagesanzeiger Online, 21.03.08
http://sc.tagesanzeiger.ch/dyn/news/ausland/853744.html
Article sur les similitudes entre Israël et la Suisse (en anglais), Haaretz, 17.08.10
http://www.haaretz.com/print-edition/business/a-small-competitive-country-with-7-6-million-people-1.308481
Comparaisons statistiques entre Israël et la Suisse (en anglais), Nationmaster.com
http://www.nationmaster.com/compare/Israel/Switzerland