Magazine sur la vie en Israël

Billet d’humeur : histoires de (SUR)VIE

dans Culture & Sports/Entre les Lignes

A l’occasion de la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste

Par Katharina Höftmann

J’ai récemment pris l’avion pour Berlin. Depuis belle lurette plus aucun récit ne commence ainsi me direz-vous, mais c’est pourtant vrai. Mi-décembre je me suis retrouvée dans un avion, malgré l’obligation de quarantaine à l’aller et au retour et me suis félicitée d’avoir pris la décision de partir. En dépit de la quarantaine à observer tant en Allemagne qu’en Israël, en dépit du risque de me retrouver dans un hôtel corona à mon retour en Israël, en dépit de la peur d’être contaminée pendant le voyage, en dépit de l’impossibilité de partir avec mes enfants et de la certitude que je ne pourrais les voir immédiatement à mon retour à cause de la quarantaine j’avais décidé de me rendre en Allemagne pour voir mes parents. En 2020, je n’avais pu leur rendre visite que deux fois et quand mon père a commencé à me dire de manière de plus en plus insistante au téléphone que je devais tout lâcher pour venir en Allemagne avec enfants et mari j’ai réalisé que c’était sa manière à lui de me faire comprendre que je lui manquais. Cette année, mon père va avoir 73 ans, un âge auquel on ne se dit plus qu’on a encore toute la vie devant soi. Un âge qui m’amène à penser, moi sa fille, que dans sept ans il aura 80 ans, même si je le vois encore comme un quinquagénaire. Je réalise d’ailleurs que je l’ai toujours vu comme un quinquagénaire car quand on est jeune on pense que toutes les personnes d’un certain âge ont la cinquantaine. Et ma mère a eu 63 ans (même si je la vois comme une trentenaire, car ma mère est pour moi la seule exception à la règle des 50 ans). Et je prends conscience du fait que le temps que nous avons perdu en n’étant pas ensemble n’est pas rattrapable.

« Tu devrais écrire un livre »

Quand on se lance dans ce genre de réflexion, on en arrive vite à se perdre dans tout un dédale de pensées, aussi ai-je fait le tour de tout ce que nous avons perdu depuis le début de la pandémie. Mes pensées sont d’abord allées aux seniors seuls et abandonnés dans des maisons de retraite depuis près d’un an à cause des interdictions de visite et qui ont dû forcément avoir encore plus peur d’un monde du quotidien duquel ils étaient déjà plus ou moins exclus. Je n’ai visité qu’une seule maison de retraite en Israël et c’était pour lire des extraits de mon premier livre Guten Morgen Tel Aviv (Bonjour Tel-Aviv) à des rescapées de la Shoah. Ce fut un moment de grande émotion pour moi. Et pendant que je pensais à toutes les anecdotes et histoires que les vieilles dames originaires d’Autriche, d’Allemagne et de la Suisse m’ont racontées je me suis souvenue d’une idée que mon père a récemment partagée avec moi : « Tu devrais écrire un livre sur les gagnants et les perdants de la vie, sur la manière dont des gens ayant vécu de grands bouleversements sont parvenus à faire face ». Même s’il faisait référence à la chute du mur j’ai quant à moi immédiatement pensé aux survivants de la Shoah, à ces êtres humains qui ont vécu l’enfer, ont survécu à des horreurs inimaginables et ont construit ensuite une vie normale, avec un conjoint, des enfants, un logement, un travail, en un mot le quotidien. Parfois, nous avons tendance à oublier qu’ils n’ont pas ‘seulement’ survécu mais qu’ils ont aussi vécu une vraie vie après l’horreur. Dans notre culture du souvenir (et je pense ici plus spécifiquement à l’Allemagne) nous parlons et à juste titre beaucoup des crimes et des victimes mais nous avons tendance à oublier ceux qui ont survécu et la vie qu’ils ont menée après.

« Personne n’a jamais parlé de leur capacité à se reconstruire »

J’ai interviewé il y a longtemps Mooli Lahad, un chercheur spécialisé dans les traumatismes, qui a beaucoup travaillé avec des survivants de la Shoah. Ses mots sont restés gravés à tout jamais dans ma mémoire : « Ils ont perdu leur famille, leurs amis, leur maison, souvent aussi leur langue. Et pourtant, presque tous ont réussi, tel le phénix, à renaître de leurs cendres. Ceci n’a pas été apprécié à sa juste valeur. Ils ont été qualifiés de victimes, de témoins, de survivants, mais personne n’a parlé de leur capacité à reconstruire leur vie ». Lors de la célébration de Yom HaShoah, le jour du souvenir de la Shoah en Israël, les six rescapés représentant toutes les victimes qui allument les torches racontent aussi leur vie. Pas seulement comment ils ont survécu mais comment ils se sont reconstruits, quel métier ils ont exercé et combien d’enfants et de petits-enfants ils ont eus.

Ne nous voilons cependant pas la face, la triste vérité est que le nombre de rescapés pouvant raconter quelle a été leur existence est en constante diminution. Ils sont hélas en fin de vie et une fois qu’ils auront tous disparu, il ne sera évidemment plus possible de les interroger. De plus, la pandémie représente un grave danger pour ces personnes âgées. Nous nous battons ici non seulement contre la pandémie mais aussi contre le temps. C’est pourquoi j’ai décidé, alors que l’avion volait au-dessus des nuages, que j’écrirais en 2021 un livre consacré aux rescapés et brossant leur portrait. J’ai déjà réfléchi à un titre « Histoires de (SUR)VIE. Et avec Matthias Fuchs, un formidable éditeur et reporter photographe, j’ai trouvé le partenaire idéal pour concrétiser ce projet malgré tous les problèmes liés à la pandémie.

J’aimerais maintenant m’adresser à vous tous. Si vous connaissez des survivants originaires d’Allemagne, de Suisse, d’Autriche ou d’autres pays et vivant de préférence en Israël, veuillez s’il-vous-plaît me contacter à l’adresse suivante : hoeftmann.k@gmail.com car c’est le moment ou jamais de les faire parler.

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