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Yad Vashem: pour pérenniser l’histoire de la Shoah à travers le prisme des victimes

dans Entre les Lignes/Rapport mensuel

Le mémorial de Yad Vashem, établi en 1953, est un centre mondial de documentation sur la Shoah ainsi qu’un lieu d’étude, d’enseignement et de mémoire  érigé en hommage aux victimes juives de la Shoah perpétrée par les nazis pendant la seconde guerre mondiale. Yad Vashem est l’un des musées les plus poignants et les plus impressionnants du monde. Tout comme le musée qui s’est transformé au cours des dernières décennies – il a été entièrement rénové il y a quelques années – le regard porté par Israël sur la Shoah a évolué. Yad Vashem est resté fidèle à ses quatre piliers : devoir de mémoire, documentation, recherche et enseignement, mais les priorités sont en train de changer en raison de la disparition progressive des ultimes témoins.

Par Katharina Höftmann

Un dimanche d’avril, juste avant la fête de l’indépendance, de très nombreux visiteurs se pressent à Yad Vashem. Des touristes américains, allemands et japonais arrivés en car forment des groupes serrés, les élèves d’une école religieuse reconnaissables à leur tenue (jupe longue, chemisier boutonné jusqu’au cou) attendent sagement leur tour, de nombreux jeunes soldats et soldates assis à l’ombre discutent à voix basse. La directrice du département de langue allemande, Dr Noa Mkayton, m’accueille devant la porte de l’Ecole Internationale pour l’Etude de la Shoah. La plupart des visiteurs de cette Ecole participent à un programme d’une ou plusieurs journées. Noa Mkayton, responsable du suivi des contacts professionnels avec des pédagogues des pays germanophones, qualifie les échanges avec ces pays de fructueux et variés. Elle signale qu’un nouveau contrat de quatre ans vient d’être signé avec la Suisse alémanique, qu’un projet existe depuis plus de dix ans avec l’Autriche et qu’avec les institutions allemandes, les ministères de l’Education des Länder, la Landeszentrale für politische Bildung (Centre régional de formation politique) ainsi qu’avec les syndicats d’enseignants il existe des partenariats étroits et très solides.

„La manière de voir la Shoah a beaucoup évolué en Israël „

Yad Vashem est bien plus qu’un musée. Son activité repose sur quatre grands pôles : le centre de documentation, l’Ecole Internationale pour l’Etude de la Shoah,  les activités pédagogiques et le complexe muséographique. En effet, la fonction première de Yad Vashem est le travail de mémoire. 75 ans après l’internement des premiers Juifs dans les camps de concentration nazis, les priorités du mémorial ont évolué ; „Si nous voulons rester pertinents pour les générations futures, nous devons réfléchir à la meilleure manière d’informer sur la Shoah et à l’enseignement à en tirer“ déclare Noa Mkayoton. Ce postulat explique pourquoi plus de 300 collaborateurs travaillent pour l’Ecole Internationale pour l’Etude de la Shoah dont la création remonte aux années 90.

Le plus important mémorial de la Shoah au monde est également représentatif de la manière dont Israël considère maintenant ce génocide. „Ces dernières années, la façon de considérer la Shoah en Israël a beaucoup évolué. Certes, nous continuons à mettre l’accent sur la relation entre l’éradication de la vie juive en Europe et sa renaissance dans l’Etat hébreu, mais il y a eu un changement très important dans la perception de ce qu’est l’héroïsme. Jusque dans les années soixante, la révolte du ghetto de Varsovie a été le principal fait mis en avant. Ce jeune Etat, attaqué de toutes parts deux jours seulement après la déclaration d’indépendance, ne pouvait évoquer la Shoah qu’en rappelant „la résistance par les armes“ des Juifs du ghetto. Pendant le procès d’Eichmann en 1961, les voix se sont faites plus fortes pour réclamer que le peuple d’Israël prête une oreille plus attentive aux survivants. Parmi les témoins cités, nombre d’entre eux n’avaient qu’une importance périphérique pour le procès mais ils représentaient une certaine forme de survie à la Shoah, une partie de l’histoire qu’ignoraient de nombreux Israéliens. Lentement, le pays a pris conscience du fait que l’héroïsme n’était pas toujours la seule voie possible et que l’isolation, la fragilisation, la vulnérabilité des victimes et leur incapacité totale à se protéger et à se défendre étaient des composantes essentielles du mécanisme mis en place par les nazis. Par ailleurs, pendant longtemps, lsraël a considéré que les Juifs de la diaspora étaient inéluctablement voués au désastre et sur ce point aussi la société israélienne est en train de changer“ explique le Dr Mkayton, elle-même née à Munich et qui a fait son aliyah en 1999. Yad Vashem a largement contribué à cette évolution des mentalités.

La „Salle des noms“ par laquelle se termine la visite de Yad Vashem (photo : presse)
La „Salle des noms“ par laquelle se termine la visite de Yad Vashem (photo : presse)

Les survivants racontent leur propre histoire

Le mémorial insiste beaucoup sur la manière dont les choses se sont déroulées dans le temps, mais les tenants et aboutissants, par exemple la prise de pouvoir par Hitler, ne sont pratiquement pas expliqués. En revanche, le visiteur peut voir des objets, des lettres, des photos, des mémos, des livres ou des films dans lesquels les survivants témoignent. Le but est de montrer que la Shoah est un entrelacs d’actions, d’événements et d’histoires personnelles. Plusieurs centaines de personnes sont chargées de classer, de cataloguer et d’insérer dans une structure d’ensemble les innombrables documents qui parviennent au complexe muséographique. David Cahn, un jeune Suisse de 31 ans, travaille depuis deux ans dans le département Archives et documentation et a déjà vérifié un nombre incalculable de documents. „Le langage administratif de la plupart des documents rend les choses plus impersonnelles et me permet, si je puis dire, de conserver un certain détachement. Je dois également trier des documents concernant les transports, mais ils sont rédigés de manière presque abstraite : „il y avait X Juifs à Z et ils ont été transportés à Y“. Les choses sont beaucoup plus émotionnelles quand il s’agit de témoignages, par exemple quand des déportés racontent par quoi ils sont passés dans les camps, ou quand je dois lire des rapports sur l’assassinat par les nazis de populations entières dans des villes d’Ukraine ou de Biélorussie“.

En dehors des recherches sur les „Justes des nations“, des non-Juifs qui ont aidé les Juifs pendant la deuxième guerre mondiale, les recherches de Yad Vashem passent systématiquement par le prisme des victimes pendant et après la Shoah. Le travail de Yad Vashem est de décrire comment était la vie juive avant la Shoah, la vie quotidienne des Juifs et les stratégies de survie pendant la Shoah ainsi que la perception israélienne/juive de la Shoah. Jusqu’ici, les questions touchant par exemple à la culpabilité étaient pratiquement ignorées, mais l’Ecole internationale pour l’étude de la Shoah commence lentement à traiter ce sujet.

„L’histoire de la Shoah doit être écrite à travers le prisme juif“

Le Dr Mkayton veut avant tout que ses visiteurs germanophones comprennent pourquoi il est si important que Yad Vashem existe en Israël comme complexe muséographique sur la Shoah. „Pendant les persécutions, les victimes ont essayé de transmettre aux générations futures l’histoire de la Shoah subie par les Juifs pour éviter à tout prix qu’au génocide s’ajoute un „mémocide“ ou plus exactement une „aryanisation de la mémoire“ car le plan des nazis était d’éradiquer la vie juive et, après la destruction de tous les Juifs, construire un musée évoquant le peuple juif tel qu’eux le voyaient. Dans cette optique, les bourreaux n’ont pas seulement tué les personnes mais également brûlé leurs livres, les rouleaux de la Thorah et tout ce qui avait trait à la vie juive, car ils voulaient anéantir totalement la mémoire juive. Ceux qui ont travaillé sur les archives de Ringelblum l’ont très nettement perçu, même s’ils n’ont pas pris conscience de la véritable dimension du génocide. En effet, le problème est que la plupart des photographies et images ont été réalisées par les bourreaux. En revanche, si on regarde par exemple les photograpies de Mendel Grossman, on voit nettement la différence. Grossman a fait un portrait de son père mourant qui le montre non pas comme un homme décharné sur le haut d’une pile de cadavres mais tel qu’il fut, un homme portant barbe, lunettes et chapeau“.

En documentant les terribles épreuves subies pendant la Shoah, les Juifs ont également témoigné de leur foi en la survie du peuple juif. „Je lègue mes œuvres au Musée juif qui sera érigé après la guerre“ écrivit Gela Sakstein pendant les heures les plus sombres. On peut lire cette phrase de l’artiste à l’entrée du Musée d’Art qui fait également partie de Yad Vashem et où, depuis 2005, ses œuvres et celles d’autres artistes juifs sont exposées. Sur le Mont Herzl, là où en ce dimanche d’avril allaient commencer, quelques heures plus tard, les cérémonies marquant le 65ème anniversaire de l’Etat d’Israël.

 

Site Internet en français de Yad Vashem
http://www.yadvashem.org/yv/en/about/friends/francophone/index.asp

Vidéo avec exposé du Dr Noa Mkayton sur „Mémoire et enseignement en Israël »
http://www/yadvashem.org/yv/de/holocaust/insights/noa_mkayton.asp

 

 

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