Quand on me demande quels sont mes endroits préférés à Tel-Aviv, je n’ai pas besoin de réfléchir longtemps avant de répondre : ce sont évidemment la mer et la plage, plus trois ou quatre restaurants très agréables et absolument délicieux ainsi que le Teder. J’appelle cet endroit notre jungle car, de par sa superficie et son animation, ce temple des hispsters fait figure de rarité à Tel-Aviv. Le Teder, qui doit son nom à la station de radio qui émet de là-bas est à la fois un bar, une galerie et une pizzeria. En haut sont installés le restaurant Romano et en bas une sorte de brasserie et un club. On y trouve également des magasins et boutiques dans une grande cour intérieure végétalisée. Et dans cette cour intérieure les gens se pressent nuit après nuit, comme sur une aire de jeux pour adultes. Elle abrite des concerts, des spectacles, des braderies, dans ce lieu des cœurs se brisent et des pieds s’écorchent sur la piste de danse. Le Teder me fait penser à Berlin, mais au Berlin d’avant les promoteurs immobiliers qui ont fondu sur la ville tels des vautours pour copier sa décontraction et sa désinvolture.
Lorsque j’ai appris, la semaine dernière, que le terrain du Teder allait être vendu et qu’un hôtel, un de plus, allait y être construit, j’ai eu du mal à le croire. Je n’ai pas été étonnée qu’on veuille construire encore un hôtel dans cette ville. En effet, alors que le prix des appartements ne cesse de grimper on construit dans tous les coins de nouveaux hôtels. Mais s’attaquer à notre jungle ? L’un des derniers endroits où l’art et le plaisir avaient leur place ? L’un des derniers endroits à Tel-Aviv qui acceptait une certaine anarchie artistique ? Cela m’a presque brisé le coeur. Tel-Aviv n’est pas belle, ce n’est pas une ville où tout est bien aligné. Le charme de la ville réside dans son art de l’improvisation, dans son charisme juvénile et inachevé. Et pourtant, ce sont ces caractéristiques qui disparaissent progressivement au profit de logements hors de prix dans des tours de plus en plus hautes et luxueuses et d’une quantité pléthorique d’hôtels.
Je m’étais à peine remise du choc causé par l’annonce de la disparition du Teder que j’ai lu dans le quotidien Haaretz que le célèbre shouk HaCarmel situé au centre de la ville allait être «rénové». Rénové, cela signifie dans le cas présent que toute la zone allait être reconstruite avec de nouvelles infrastructures. Une photo montrant à quoi ressemblera le résultat final présente une place bétonnée parfaitement stérile avec trois ou quatre arbres maigrichons et toute une série de magasins encadrant la place. Le dernier étal de légumes : une ‘nature morte’ de métal et de froideur. Celui qui connaît le shouk HaCarmel sait pertinemment qu’il n’est pas un prix de beauté. Il sent le poisson, les maraîchers crient pour attirer le chaland, il est toujours plein à craquer, on y ‘cuit’ en été, on se gèle en hiver, on est trempé quand il pleut et de plus il est plutôt sale. Je ne suis pas une fan de la sentimentalité mal placée vis-à-vis des choses qui doivent impérativement être améliorées, mais peut-être la municipalité devrait-elle d’abord s’atteler à améliorer les conditions d’habitation pour ses résidents.
Actuellement nous sommes en hiver et je ne connais personne dans l’appartement de qui il n’y a pas d’infiltrations. Il suffit qu’il pleuve pendant trois jours d’affilée, comme c’est le cas maintenant, pour que les rues se transforment en rivières parce que les canalisations n’arrivent pas à faire face aux trombes d’eau qui se déversent sur la ville. Ce n’est pas d’hôtels supplémentaires et hors de prix que nous avons besoin, pas plus que d’un shouk qui ressemble à une galerie marchande sans âme. Nous avons besoin d’une ville dans laquelle on peut et on veut vivre.