Magazine sur la vie en Israël

Handicapés en Israël : une vie bivalente avec une large place laissée aux rêves

dans Entre les Lignes/Rapport mensuel

Israël compte 1,5 million de personnes handicapées dont 50 000 sont, au sens large  du terme, des invalides de guerre. On pourrait penser qu’un pays comme Israël est bien préparé à l’intégration de ses citoyens invalides ou handicapés, mais la situation est loin d’être satisfaisante. Même si le pays propose plusieurs projets absolument remarquables aux handicapés, une grande partie d’entre eux vit à la limite du seuil de pauvreté.

Texte de Katharina Höftmann

Itzik raconte comment il a fumé pour la première fois en cachette avec des amis. Il a commencé à pleuvoir et ses copains sont rentrés en vitesse à la maison. Itzik, lui, est resté sous la pluie, heureux et très ému. Jamais il ne s’était senti aussi libre. Itzik est aveugle et sourd. Depuis un certain temps, il fait partie de l’ensemble du théâtre Nalaga’at. Fondé en 2002 dans le port de Jaffa, ce théâtre est le seul au monde à travailler avec une troupe d’acteurs aveugles et sourds. Leur pièce „Not by Bread alone“ parle de rêves. De rêves simples et de grands rêves. De rêves qui, lorsqu’il s’agit d’aller chez un certain coiffeur, ne sont pas vraiment différents de ceux des personnes non handicapées et qui, lorsqu’il s’agit de pouvoir, au moins une fois, observer les oiseaux, sont inaccessibles alors qu’ils n’ont rien que de normal pour les voyants.

„Je sens que cette troupe est particulièrement soudée. Nous avons répété la pièce pendant près de deux ans et demi et développé un langage théâtral absolument nouveau. Notre récompense pour le travail si dur que nous avons accompli est de pouvoir présenter une oeuvre qui est une petite révolution en soi car elle ne montre pas les handicapés comme des personnes ayant besoin d’aide. Quand je parle de révolution, je ne pense pas seulement à la troupe mais également aux spectateurs qui quittent le théâtre avec une approche nouvelle du handicap“ nous déclare Adina Tal, qui a mis en scène cette pièce.

Israël peut servir d’exemple dans de nombreux domaines en ce qui concerne la prise en charge de ses citoyens handicapés

Depuis son inauguration, le centre Nalaga’at a accueilli plus de 200 000 visiteurs venus de tout Israël et du monde entier. Outre le théâtre, ce centre abrite un café avec des serveurs sourds-muets et un restaurant dans le noir avec un personnel aveugle. Des media comme „ARD“, la „BBC“ ou „The Guardian“ ne tarissent pas d’éloges sur le théâtre et sa dernière production et, effectivement, la manière dont les 11 acteurs aveugles et sourds parviennent à toucher profondément le public presque sans parler, en passant seulement par le filtre de leurs émotions et de leurs gestes, est remarquable. Il n’est donc pas surprenant que la pièce ait déjà été jouée plus de 500 fois et ait été présentée à plusieurs festivals, entre autres à Londres et en Corée du Sud.

Israël compte environ 1,5 million de personnes souffrant de handicaps divers, du plus lourd au plus léger. Même si le nombre total d’invalides adultes en Israël correspond approximativement aux chiffres des pays d’Europe occidentale, le nombre des handicapés sévères est plus important en Terre Sainte. L’une des raisons en est qu’il y a en Israël quelque 50 000 personnes dont le handicap est dû à la guerre ou à l’un des nombreux attentats perpétrés dans le pays. D’après l’organisation internationale „Zero Projects“ qui plaide pour un monde sans barrières, la manière dont Israël prend en charge ses citoyens handicapés est exemplaire à de nombreux égards. C’est ainsi qu’avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne Israël fait partie des trois pays dont les bus sont accessibles aux handicapés. Les conducteurs sont formés pour accueillir ce public et chaque bus peut recevoir jusqu’à deux fauteuils roulants. En outre, l’organisation juge très positif le fait qu’en Israël la mise sous tutelle partielle soit possible. Le gouvernement israélien a par ailleurs été récemment honoré pour la manière dont il intègre un personnel handicapé nombreux.

„Tout le monde parle de faire vivre ensemble les enfants handicapés et les autres, mais cela reste généralement lettre morte

Ces éloges ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt. „Il y a en Israël un hiatus très important entre les conditions de vie des handicapés et les quelques projets véritablement révolutionnaires qui leur sont proposés. Il n’existe par exemple aucun projet d’habitat approprié pour nos acteurs aveugles et sourds qui en sont réduits, pour certains, à vivre avec leurs parents très âgés mais, parallèlement, nous avons en Israël le seul ensemble théâtral aveugle et sourd au monde“ nous déclare Adina Tal pour expliquer la bivalence de la situation. Les statistiques confirment également la nécessité d’améliorer les conditions de vie des handicapés en Israël. Comme le signale le dernier rapport de 2009 de la „Commission pour l’égalité des droits des handicapés“ du ministère de la Justice, 60 % vivent à la limite du seuil de pauvreté. Un tiers se sent abandonné et nombreux sont ceux qui estiment que le fossé entre les Israéliens handicapés et les autres ne s’est guère comblé ces dernières années, malgré de nouvelles lois et bien que des instances gouvernementales et des organisations sociales travaillent à améliorer la situation.

„Le plus difficile, ce sont les relations avec les autres. Nous vivons dans une société où la normalité est la règle et même si tout le monde parle en Israël de faire vivre ensemble les enfants handicapés et les autres, cela reste généralement lettre morte. Il y a encore six mois, notre caisse maladie n’avait même pas d’accès pour les handicapés alors qu’on compte dans le pays un nombre très important d’invalides de guerre“ déclare Zipi Malul dont la fille, Eden, âgée de 20 ans, souffre de paralysie cérébrale infantile. Elle sait exactement de quoi il en retourne et comment Israël s’occupe de ses citoyens handicapés. Eden a fréquenté une école normale dont elle a été la seule élève handicapée. Cette intégration ne s’est pas faite sans mal et a nécessité une grande force de conviction et un engagement sans faille des enseignants et de l’administration. Chaque année qui passe augmente toutefois l’inquiétude des parents. „Qu’en sera-t-il quand elle vieillira ? Où vivra-t-elle ? Il n’existe pas, en Israël, suffisamment de centres pour adultes handicapés capables de leur dispenser le traitement dont ils ont besoin. „Soit il s’agit de centres privés et donc trop chers, soit il n’y a pas de place dans les deux centres publics dignes de ce nom“ nous explique Zipi Malul.

Rares sont les handicapés vraiment bien intégrés au monde du travail

La famille bénéficie du soutien de l’organisation israélienne „Access Israel“ fondée en 1999 par un vétéran israélien. Cette organisation veut faire d’Israël un lieu sans barrières et entend par là non seulement la mise en place de rampes d’accès pour les fauteuils roulants mais également l’intégration des citoyens au marché du travail, domaine dans lequel Israël a encore de grands progrès à faire. En effet, 65 % des handicapés gagnent moins que le salaire minimum contre 27 % chez les salariés „normaux“. 18 % environ des handicapés lourds et 12 % des handicapés moyens ne travaillent pas. Bien que la loi de 1998 interdise la discrimination en matière d’emploi pour raison d’incapacité, une étude du „Kiryat Ono Academic College“ de 2011 montre que la plupart des employeurs israéliens estiment que les handicapés ne sont pas aptes à travailler ou ne le sont que dans une mesure très réduite.

Comme partout dans le monde, les handicapés sans emploi ont besoin de l’aide sociale. Les protestations persistantes des invalides en Israël témoignent du faible niveau des allocations qui n’ont pas été augmentées depuis neuf ans. En janvier, après de longues discussions, le gouvernement a finalement décidé d’augmenter de 200 millions de shekels les prestations versées aux enfants et adultes handicapés. Il est toutefois douteux que cette somme suffise.

Les subventions de l’Etat sont largement insuffisantes

La famille Malul perçoit également une aide de l’Etat mais celle-ci n’est pas alignée sur la hausse constante du coût de la vie et  ne couvre que les dépenses élémentaires. S’occuper correctement d’un enfant handicapé coûte très cher. Les traitements que reçoit leur fille reviennent aux Malul à 4 000 shekels par mois (environ 800 euros) et engloutissent la totalité de l’aide sociale. La caisse maladie rembourse très peu. Elle a bien pris en charge la moitié des 50 000 shekels (environ 10 000 euros) qu’a coûté le fauteuil roulant d’Eden, mais les Malul sont furieux quand ils voient que le fauteuil roulant d’un retraité ne dépasse pas 15 000 shekels (environ 3 000 euros).

En dépit de tout, Eden reste optimiste et veut donner un sens à sa vie. Après le bac, elle a décidé de coacher des enfants handicapés et de les aider à surmonter leur handicap. „Je pourrais naturellement broyer du noir toute la journée et me demander pourquoi moi ? Je pourrais être en colère contre le destin, mais je préfère penser que le verre est à moitié plein“. Cette charmante adolescente rêve d’être indépendante, d’étudier la religion à l’université de Haïfa, de vivre seule. Cet été, elle est allée pour la première fois en Norvège. Elle était l’une des deux Israéliens invités au „Handicamp“ par le Rotary Club. Eden veut élargir son réseau international de connaissances, ce qui lui sera indubitalement utile, car elle a encore de nombreux projets.

L’ensemble d’Adina Tal ne manque pas non plus de projets. La troupe est en train de créer une nouvelle pièce avec un nouveau groupe d’acteurs aveugles et sourds. Ils riront, danseront, parleront de leur quotidien et pleureront parfois mais, surtout, ils montreront qu’il y a dans leur vie un large espace pour les rêves.

Autres informations :

Site internet du centre Nalaga’at (en anglais)
http://www.nalagaat.org.il/seat.php

Rapport sur le théâtre Nalaga’at, ARD.de, 08.01.12
http://www.tagesschau.de/videoblog/zwischen_mittelmeer_und_jordan/videoblogschneider206.html

Recherches du gouvernement israélien sur l’intégration des handicapés dans le monde du travail (en anglais), 03.05.10

http://www.knesset.gov.il/mmm/data/pdf/me02640.pdf

Informations de l’organisation „Zero Project“ sur la situation des handicapés en Israël (en anglais)
http://www.zeroproject.org/?s=Israel&submit=

Article sur l’intégration des salariés handicapés au sein du gouvernement israélien (en anglais), Arutz 7, 24.01.12
http://www.israelnationalnews.com/News/News.aspx/151894#.Tx_qouN6_-k

Site internet de l’organisation „Access Israel“ (en anglais)
http://www.aisrael.org/

Rapport sur la situation des handicapés en Israël (en anglais), ynet, 12.01.09
http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3813210,00.html

Article sur les réticences des employeurs israéliens à engager des handicapés (en anglais), Haaretz, 04.01.11
http://www.haaretz.com/news/national/employers-believe-disabled-people-least-hirable-report-finds-1.335210

Article sur les manifestations des handicapés pour de meilleures conditions de vie, ENTRE LES LIGNES, 09.01.12
http://www.schweiz-israel.ch/fileadmin/dokumente/Israel-Zwischenzeilen/IL_Zz_2012-02_-_9._Jan..pdf

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