Par Jennifer Bligh
Les yeux d’Ofer Cohen brillent d’excitation chaque fois qu’on lui annonce la venue d’une nouvelle pépite. „On peut à peine s’imaginer les trésors qui dorment dans les tiroirs ou les placards des gens“ déclare-t-il. Ce technicien de Tel-Aviv de 47 ans ne parle pas de diamants reposant dans des coffrets doublés de velours pourpre mais de films 8, 16 ou 32 mm qui ont pris la poussière dans des boîtes d’aluminium cabossées. Plus ils sont anciens, plus Ofer Cohen est heureux. En fait, le problème de nombreuses familles est qu’elles n’ont plus de lecteur en état de marche pour les anciens formats, ce qui explique que les vieux films soient relégués et longtemps oubliés au fond d’un tiroir. Les propriétaires des films ignorent généralement ce qu’il y a sur la pellicule. Il peut aussi bien s’agir de films sur des enfants, de fêtes d’anniversaire que de films sur la guerre.
Sésame ouvre-toi
Dans le studio parfaitement équipé d’Ofer Cohen, il est pratiquement possible de lire tous les formats. Le fils de cette famille de photographes enthousiastes y a veillé avec un soin jaloux en installant tout le matériel nécessaire à sa passion. Dans une immense pièce à l’arrière du magasin photo de ses parents situé rue Ibn Gabirol à Tel-Aviv, une artère très animée, Ofer dispose d’une collection qui ferait honneur au département d’un musée : des grandes caisses remplies de grosses bobines, des petits carrés pour loger les cassettes – le coeur des amoureux de la technique bat plus vite quand ils poussent la porte de ce paradis. Le client non averti pourrait se croire dans une sorte de brocante : sur des étagères on voit un amoncellement d’appareils photo, de caméras, de boîtes de films, de récipients en aluminium et de souvenirs. Ofer connaît l’histoire de chaque objet …. „Là, c’est mon premier appareil photo, je n’allais même pas encore à l’école“… „Et cette technique n’existe plus depuis longtemps“… „Sur cette photo, c’est mon père jeune“. Pendant qu’Ofer s’active dans son repaire, son père sert la clientèle dans le magasin photo à l’avant du bâtiment.
La clé d’or pour ouvrir la boîte aux souvenirs de famille
Lire les anciennes cassettes est une chose, les numériser et permettre ainsi de les voir sur son ordinateur en est une autre déclare Ofer. Il explique succintement la technique utilisée : chaque vidéo est fractionnée en „frames“ qui sont scannés un à un. „Nous numérisons chaque „frame“ et ensuite nous remontons le film“ . Quand on se trouve dans le studio ultra sophistiqué qui contraste fortement avec la „salle des trésors“ qui le jouxte et qu’on écoute attentivement, on peut entendre le „clac clac“ des anciens appareils faire écho au bourdonnement des ordinateurs.
Fascination pour l’ancien et le moderne. Le paradis de la technique se trouve derrière le magasin photo (photo : Bligh)
Souvenirs de Suisse
Le projet suivant, enfermé dans des boîtes en aluminium et des enveloppes DIN A4 attend déjà qu’Ofer lui donne vie. „Je suis en train de constituer des archives familiales numérisées afin que mes enfants et petits-enfants puissent y accéder facilement s’ils le désirent“ explique Danny, originaire de Suisse et vivant en Israël. Il est prêt à investir quelque 500 euros pour ce travail. „C’est un véritable trésor que nous avons là“ dit-il. Il considère qu’il est de son devoir de préserver cet héritage. „De très nombreuses familles ont perdu toutes leurs photos et tous leurs films pendant la seconde guerre mondiale“. Ceux qui ont la chance d’avoir gardé des traces du passé doivent soigneusement veiller à les conserver pour leurs descendants estime-t-il.
Ses propres archives commencent en 1931 : des étudiants suisses avaient organisé une retraite aux flambeaux en gage de remerciement. Normalement, les flambeaux étaient allumés en signe de protestation, mais dans ce cas précis les remerciements s’adressaient à Bruno Bloch, le grand-père de Danny, un dermatologue qui, au lieu d’aller travailler à l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, était resté à Zurich. D’autres films de la fin des années 20 et 30 montrent des scènes de vacances et des rencontres familiales. „Les films ont près de 100 ans, n’est-ce pas formidable ?“ s’extasie Danny. Sur l’un des films, on voit sa mère et sa tante, alors petites filles, jouer avec leur père au ballon prisonnier. Danny est extrêmement heureux d’avoir encore ces films. „En 1974, quand nous avons quitté la Suisse pour Israël, nous nous sommes demandé si nous devions les emporter ou non“ se souvient-il. Le kibboutz dans lequel il vit disposait d’un projecteur en 16 mm permettant de visionner les films. Il a alors eu l’excellente idée d’installer une caméra à côté du projecteur et d’enregistrer ainsi les films sur une cassette VHS. Mais ce format a également disparu depuis longtemps. „Ce qui est formidable avec les vieux films comparés aux vidéos est qu’on ne dispose pas d’un support sur quatre heures mais sur trois minutes“ explique Danny. Dans le temps, il fallait soigneusement réfléchir aux scènes qui resteraient et à celles qui seraient coupées. „Ceci associé à la numérisation garantit qu’un jour mes petits-enfants et plus tard leurs enfants auront la joie de voir leurs ascendants“ déclare Danny avec un sourire épanoui.
Petit cinéma, grand cinéma
Ofer Cohen ne numérise pas seulement les films de particuliers. Pour le documentaire sur Heinrich Himmler „Der Anständige“ (http://www.welt.de/kultur/kino/article124688935/Der-Himmler-Film-den-das-Fernsehen-nicht-wollte.html et http://www.youtube.com/watch?v=wiFo05Y-ZAD de Vanessa Lapa, Ofer a numérisé quatre heures de films provenant de particuliers et d’archives officielles. „Sur ces quatre heures, environ cinq minutes ont été utilisées, c’est souvent le cas dans le monde du cinéma“ dit-il, philosophe. Le documentaire est basé sur des films et sur des lettres échangées entre Himmler et sa femme Marga.
Ofer est aussi enthousiaste quand il numérise des petits films familiaux que des films de plus grande portée. „Pour moi, c’est toujours le même bonheur quand je montre les films numérisés à quelqu’un et que je vois son émotion et ses yeux qui pétillent de joie, que le film soit projeté sur grand écran ou regardé sur un ordinateur dans le cercle privé“. Danny approuve : „Je ne pouvais pas reconnaître les visages des membres de ma famille sur les anciennes bandes, car ils étaient trop flous“ dit-il.
Pendant ce temps, l’oeil avisé d’Ofer a remarqué quelque chose et il appuie sur „pause“. L’image fixe montre un parent de Danny. „Incroyable comme vous vous ressemblez“ dit Ofer en regardant alternativement l’image et Danny. Et c’est ainsi que se referme ce petit cercle „génétique“ et que se termine un projet qui sera du plus haut intérêt pour les générations futures.